Dédoublement·s : premier·s pas vers la supplémentarité
Le double n’étant jamais absolument identique, il est le lieu où ça commence à se distinguer, où se manifestent les plus humbles et d!scrètes et minuscules différenciations, celui où la différance prend son essor. De nombreux films jouent sur la tension entre un redoublement presque parfait, une gémellité convaincante, et un écart effectif allant au-delà de la rivalité, parfois très au-delà, et même jusqu’au combat mortel, à l’horreur. Dans The Substance (Coralie Fargeat, 2024) ou Faux Semblants (David Cronenberg, 1988), l’histoire se termine dans le sang, par une destruction mutuelle; dans L’amant double de (François Ozon, 2017), le jumeau parasite est déjà mort et l’a toujours été. Ce sont des circonstances où trop de force, trop de brutalité interviennent dans la fabrication de la différence. Au lieu de l’écart, c’est l’extériorité qui triomphe. Dans l’immense production de la cinématographie dédoublante, on trouve aussi des trésors de subtilité, de mystère. L’étrange décision suicidaire de Profession Reporter (Michelangelo Antonioni, 1975) restera toujours énigmatique, ainsi que les sanglots ultimes de La Double vie de Véronique (Krzysztof Kieślowski, 1991). Véronique et Weronika sont étrangement liées par une même émotion. Elles partagent, à distance, le vécu de deux environnements distincts. Chacune a l’intuition de la présence, l’existence de l’autre. Comment peut-on être identique, indissociable et en même temps autre ? Le supplément distant appartient, à tout moment, à l’une et à l’autre. Elle ajoute à l’identique ce qui ne sera jamais exactement pareil. Il n’y a aucun moyen de saisir cela de façon sûre, contrôlée. Il faut en accepter l’occurrence, en attendant de savoir de quoi il retourne.