Le mal n’a ni lieu ni définition, il peut surgir de partout, sans raison ni anticipation
Souvent, on tend à associer le mal à des conduites, des agissements ou des comportements spécifiques : la mort, la destruction, la violence, la corruption, la perversion, etc. La liste est infinie et les tentatives de description ne rendent pas compte de la variété des actions mauvaises ou négatives, des plus odieuses aux plus quotidiennes, ni du mal tout court, tout simple, celui de tous les jours commis sans intention ni préméditation, qu’on peut par exemple nommer médisance, omission, agressivité, etc. Il n’est pas surprenant qu’on ait du mal à le circonscrire, car n’importe quel incident, occasion ou mésaventure peut faire mal. Toute altération, déplacement, décalage ou autre peut déclencher, sans arrière-pensée, sans prévenir, une figure ou une autre du mal. Alors qu’en général le bien est construit, organisé, structuré, le mal résiste à la structuration. Il peut y avoir des mauvaises actions rigoureuses ou organisées pour atteindre certains buts, mais dès lors qu’ils sont atteints, l’organisation perd sa pérennité, elle se disloque, quitte à se reconstituer plus tard dans un but différent. Le mal défait mais ne déconstruit pas, car la déconstruction suppose un effort de pensée. Sous couvert d’ordre ou de discipline, il entretient le chaos.
Par sa réécriture du scénario du film Touch of Evil (mal traduit en français parLa Soif du Mal, 1958), Orson Welles a montré que le mal pouvait se présenter sous le masque d’une volonté de bien faire. À sa façon, le policier détective Hank Quinlan est efficace. Il pourchasse ceux qu’il considère comme coupables, les dénonce et n’hésite pas à fabriquer des preuves sur la base de son intuition, plus crédible selon lui que les enquêtes les plus approfondies. Le risque d’erreur ne lui fait pas peur, à condition que personne ne s’en aperçoive et que son prestige personnel n’en soit pas affecté. C’est ainsi que de fil en aiguille, il en arrive à la manipulation, la complicité avec les malfaiteurs, le risque de se trouver lui-même impliqué dans l’illégalité voire le meurtre. Quant cette figure admirée, incontestée, de combattant contre les gangs et les escrocs est prise sur le fait par un policier trop honnête venu d’un autre pays, alors tout s’effondre y compris son estime de soi. Le mal se sera introduit par excès de zèle, conviction trop ancrée dans l’efficacité de son pouvoir.