Pari, à-venir

Bénédiction : je parie sur ton avenir, sans préjuger de ce qu’il sera

Il ne s’agit pas seulement de parier sur un avenir inconnu, il s’agit de parier sur ton avenir, le tien. Qui es-tu ? Justement, celui qui fera advenir cela, ce qui est à-venir, et dont je n’ai aucune idée. J’ai confiance, sans ignorer que l’avenir peut décevoir. On ne ne sait jamais à l’avance si une phrase, une simple phrase, se transformera en bénédiction ou en malédiction. Elle peut être l’une et l’autre, être l’une ou l’autre, et elles peuvent aussi se succéder, se mélanger, s’annihiler. Quoiqu’il en soit je me retire devant toi, mais je ne t’abandonne pas. La posture est compliquée, contradictoire. Je te soutiens, je te porte, mais c’est toi qui me dirige, qui m’oriente. Tu n’es pas mon guide, tu es le risque que je prends – et je te remercie pour m’y inviter, car sans toi je resterais sur le même chemin. Quant à toi, tu emprunteras la voie qu’il t’est donné d’emprunter. Il ne me sera pas donné de t’y suivre, et d’ailleurs je n’essaierai pas. Je bifurquerai grâce à toi, sur une autre route. 

C’est ce que fait Alexandre dans Le Sacrifice d’Andreï Tarkovski (1986), en se retirant devant son fils dit Petit Garçon, qui n’a pas encore de nom. Il ne lui aura offert que des doutes, des récits sans suite et des arbres morts. Même son nom, il ne le lui aura pas donné, car il sait qu’il devra le recevoir plus tard, en fonction de ce qu’il sera, de la singularité qui le définira. Le film montre l’extrême difficulté à avoir confiance en l’avenir d’un autre, sans vouloir le déterminer et sans y être déterminé soi-même. Alexandre va très loin. Pour affirmer la liberté et surtout la liberté de son fils, il détruit sa vie confortable, fait brûler sa propre maison, se fait passer pour un fou. C’est le prix à payer pour dire « oui » à l’avenir d’un autre. Dans le film de Krzysztof Kieślowski, Rouge (1994), Joseph Kern, juge à la retraite qui a le sentiment de revivre sa propre vie, s’efface lui aussi devant Auguste Brunner, qui partagera peut-être un jour sa vie avec celle qu’il voudrait protéger, accompagner, Valentine Dussaut. Joseph réve l’avenir de Valentine, mais ne l’enferme pas dans un destin préétabli. Ce sera à elle de choisir. Sans doute ne reverra-t-elle jamais le vieux juge, mais sa relation avec lui ne disparaîtra pas. Elle vivra aussi, en partie, de manière ineffaçable, en mémoire de… Tel est le paradoxe de la bénédiction : elle influence pour libérer, elle laisse sa marque pour qu’une marque ne soit plus jamais déterminante. Il faut pleinement exister avec ce paradoxe.

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