Mon oncle d’Amérique (Alain Resnais, 1980)

Une vie entièrement gouvernée par les mécanismes neuro-cognitifs serait absolument déterminée, et par conséquent vouée à l’échec

Le cinéma expérimental d’Alain Resnais explore toutes les hypothèses, toutes les possibilités. Vingt ans après l’indétermination de L’Année dernière à Marienbad (1961), le réalisateur met en scène l’inverse, une absolue détermination. Il s’appuie pour cela sur la pensée du professeur Henri Laborit pour qui les mécanismes qui gouvernent l’homme sont exactement les mêmes que ceux qui gouvernent le rat. Il ne s’agit pas d’une comparaison, mais, littéralement, d’une égalité. Chaque humain a son histoire singulière, mais cette histoire est réductible à une série de phases qu’on retrouve également chez l’animal, qu’il soit rat ou sanglier. Les trois personnages dont l’histoire est racontée, un bourgeois ambitieux (Jean Le Gall, interprété par Roger Pierre), une comédienne fille de militants communistes (Janine Garnier, interprétée par Nicole Garcia), un fils de paysans catholique (René Ragueneau, interprété par Gérard Depardieu) sont différents les uns les autres, mais soumis à la même causalité. Certes ils se croisent, ils finissent par se rencontrer, mais cela ne change rien à ce qu’il faut bien appeler leur destin – aussi fatal que dans les tragédies grecques. Il n’y a dans ce dénouement pas la moindre hésitation, pas la moindre surprise, pas la moindre liberté. On ignore si Alain Resnais partage l’opinion d’Henri Laborit ou si au contraire il l’a tourne en ridicule, mais le résultat est là : tous sont gouvernés par la combinaison d’un cerveau reptilien (les besoins), un cerveau limbique (récompense, punition ou inhibition basées sur la mémoire), un néocortex guère plus intelligent que les autres car essentiellement tourné vers les stéréotypes et les injonctions sociales – représentés dans le film par des acteurs1, des références cinéphiliques. Ces mécanismes de plaisir, de pouvoir, d’agression et de fuite nous sont bien connus car nous les vivons tous les jours. Le film nous incite à l’introversion : puisque nous n’ignorons pas ces mécanismes, c’est qu’ils nous déterminent nous aussi.

Le déterminisme se situe-t-il dans le réel, ou seulement dans le discours scientifique ? Le fait que les trois personnages se croisent dans des situations improbables montre que le réel résiste à ces déterminations. Il y a quand même du hasard, même s’il est toujours rattrapé par la destinée. Après tout Jean Le Gall, qui lit des bandes dessinées d’aventure, aurait pu évoluer autrement; Janine Garnier aurait pu devenir une comédienne célèbre; René Ragueneau aurait pu réussir dans ses ambitions de chef d’entreprise (s’il n’était pas resté pour toujours un fils de paysan). Ce n’est pas un hasard si les trois personnages sont assez médiocres dans l’activité qu’ils choisissent. Compte tenu de la thèse retenue, ils ne peuvent pas être créatifs. S’ils représentent un oncle d’Amérique, c’est celui qui échoue et finit par s’en prendre à lui-même. On peut facilement oublier ces personnages, dont la psychologie est rudimentaire. 

Et pourtant le film a été un grand succès commercial. Si le néocortex est à la fois le lieu du présent, de l’action et du discours conventionnel, alors le film est lui aussi une extension du néocortex. On peut facilement s’identifier aux mécanismes indigents, aux existences insipides et à la pauvreté culturelle dont il est, peut-être malgré lui, l’expression.

  1. Il est vrai que le choix des acteurs invite au stéréotype : Jean Gabin (René), Jean Marais (Janine), Danielle Darieux (Jean). ↩︎
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Pierre D.

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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