Étiqueté : Brouillage
Kaïro (Kiyoshi Kurosawa, 2001)
Chacun, solitaire face à l’Internet, peut se transformer en fantôme de l’autre côté de l’écran et disparaître de ce monde-ci (sauf exception)
La Rose Pourpre du Caire (Woody Allen, 1985)
Un brouillage des limites qui transgresse la mise en abyme elle-même
A Serious Man (Joel et Ethan Coen, 2009)
Un dibbouk qui fait de l’incertitude un principe de vie, une obligation éthique, métaphysique, un pas au-delà du monde
La langue universelle (Matthew Rankin, 2024)
S’il y avait une langue universelle, elle serait en même temps étrangère et ma langue, générale et locale : ce serait une langue impossible, aporétique
Adolescence (série de Jack Thorne, Stephen Graham et Philip Barantini, 2025)
Inexplicable, instable, inclassable, insaisissable, le jeune meurtrier incarne le déséquilibre d’où pourrait surgir une réponse, une nouvelle donne
Une femme sous influence (John Cassavetes, 1974)
Trop d’affect, de spontanéité, de tension amoureuse, une femme trop différente, c’est pour la société, la famille, une déconstruction, une agression insupportable
Possession (Andrzej Żuławski, 1981)
En-deçà de l’amour surgit la violence primordiale, inexplicable, de l’archi-amour
The Brutalist (Brady Corbet, 2024)
Il faut, pour aller vers sa propre destination, la violence de l’autre
Basic Instinct (Paul Verhoeven, 1992)
Quand le pouvoir souverain, obscur, de la féminité, met en jeu la peine de mort pour s’approprier la puissance phallique
La reine Margot (Patrice Chéreau, 1994)
Purifier la violence primordiale par la beauté des corps souffrants, réparer par un amour quasi-religieux un massacre abominable
Zelig (Woody Allen, 1983)
L’identité de celui dont l’identité est de ne pas en avoir est aussi une identité, celle qui oblige à vivre dans l’aporie
Songe d’une nuit d’été (A Midsummer Night’s Dream) (Shakespeare, 1595-96), film réalisé par Elijah Moshinsky en 1981
Pour restaurer le mariage légitime, contractuel, voulu par les pères, il faut en passer par le sortilège d’une autre amour disruptif, envoûtant, déstabilisateur
Flow (Gints Zilbalodis, 2024)
Dans un monde flottant, réduit à des vestiges, il n’y a pas de finalité à l’errance
Oh Canada (Paul Schrader, 2024)
Faute d’avoir été digne d’amour, je voudrais être digne de la vérité, mais celle-ci m’échappe, il ne me reste que la prière
Megalopolis (Francis Ford Coppola, 2024)
Pour réparer le monde, il faudrait un « saut dans l’inconnu » dont nul ne connaît l’aboutissement; Coppola rêve le meilleur, mais le pire pourrait advenir
Pulp Fiction (Quentin Tarantino, 1994)
Un film qui crée son propre monde qui n’est pas un monde, mais un montage cinématographique de situations, de citations et de dialogues, pour le salut du cinéma et de ses personnages
Senso (Luchino Visconti, 1954)
Inconditionnel, excessif, asocial, irrationnel, l’appel archi-amoureux brouille les valeurs, les noie dans une équivalence/indifférence générale
The Substance (Coralie Fargeat, 2024)
Une substance pharmacologique peut effacer les stigmates du vieillissement, mais quand sa duplicité s’exhibe en public, alors elle fait exploser le lien social
Joker (Todd Phillips, 2019)
N’étant rien, le Joker peut tout représenter : le bien comme le mal, le rire comme les larmes, il est le « pharmakon » qui symbolise le chaos comme la justice, le crime et sa réparation
Apocalypse Now (Francis Ford Coppola, 1979)
Entre la violente affirmation d’une souveraineté démesurée et la renonciation passive à toute décision, il y a complicité, voire équivalence, dont on ne peut s’extraire que par l’exigence d’un recul, d’un retrait
Videodrome (David Cronenberg, 1983)
L’écran n’est pas extérieur au corps : il le parasite, le colonise, le soumet, le remplace, y ajoute toujours plus de dépendances et de sensations, et enfin survit à sa mort
Civil War (Alex Garland, 2024)
L’effondrement d’un monde, réduit à sa pure représentation photographico-cinématographique, sans analyse, ni contexte, ni récit, ni signification
Septembre sans attendre (Jonas Trueba, 2024)
Il faut, pour porter la tristesse d’une fin d’amour, en garder la trace, l’archive, par une célébration
Les Damnés ou la chute des Dieux (Luchino Visconti, 1969)
Pour transgresser sans limite les lois et normes courantes, la violence nazie prend appui sur une autre violence, familiale, qui laisse libre cours à toutes les perversions
Emilia Perez (Jacques Audiard, 2024)
Transformer son identité, brouiller les genres, cela n’efface ni la faute ni la dette, mais cela peut ouvrir, pour d’autres, un « pas au-delà », une épiphanie
In Water (Hong Sang-soo, 2023)
De la tentative d’effacer tout ce qui fait le cinéma, il reste un film qui donne paradoxalement au cinéma son sens
Fitzcarraldo (Werner Herzog, 1982)
Où la contrainte économique et le pur plaisir (anéconomique) se confondent dans la même démesure, la même circularité fantasmagorique, qui est celle du cinéma
Le Déserteur (Dani Rosenberg, 2023)
Pris dans une confrontation stérile, sans raison ni projet, le jeune désorienté n’a d’autre choix que de se retirer lui aussi, sans raison, sans justification ni projet
L’année dernière à Marienbad (Alain Resnais, 1961)
Un événement évanescent, indéterminé, sans témoin crédible ni trace, on peut l’évoquer, en faire un film, un pur film, en multiplier les interprétations
L’amour à mort (Alain Resnais, 1984)
« Je suis mort », dit-il en annulant tout engagement, tout devoir, toute dette, y compris la promesse amoureuse de celle qui voudrait le rejoindre en offrant, elle aussi, « ma mort »
American Fiction (Cord Jefferson, 2023)
Pour réussir dans la vie sociale, médiatique, on n’échappe pas aux stéréotypes mais on peut contribuer à leur déconstruction.
The Universal Theory (Timm Kröger, 2023)
On peut, par le cinéma, fabriquer un ersatz de multivers par lequel s’instille le retour obsédant de la spectralité
Los Delincuentes (Rodrigo Moreno, 2023)
Le vol d’argent n’annule ni la dette, ni l’économie; il faut pour cela des moments de gratuité qui ouvrent à la question de la liberté, sans la garantir
L’Argent (Robert Bresson, 1983)
La circulation de l’argent est a-morale, irrationnelle; ce ne sont pas les marchandises qui circulent mais la faute, sans souci d’équilibre, d’éthique ni de justice
La Désenchantée (Benoît Jacquot, 1990)
Un film ambivalent qui embellit l’ambivalence d’une jeune fille envers ce qu’elle a à subir.
Il fait nuit en Amérique (Ana Vaz, 2022)
D’autres regards vivants, angoissés, désespérés, inouïs, inaccessibles, intraduisibles, émergent des marges de la ville.
Ayer maravilla fui (Gabriel Mariño, 2017)
Chaque jour ton corps change, tu es la même personne sans l’être et tu peux te réveiller tout·e autre.
Anomalisa (Charlie Kaufman et Duke Johnson, 2015)
Il n’y a dans le monde que des marionnettes identiques à la voix identique, sauf dans un moment d’exception, unique, déstabilisant, irrépétable.
L’ornithologue (João Pedro Rodrigues, 2016)
Il aura fallu, pour entendre le secret dont l’autre témoigne, en passer par un « Je suis mort »
Vers l’autre rive (Kiyoshi Kurosawa, 2015)
Il faut, pour un deuil, partager la mémoire, la parole, le corps et les secrets du mort.
Boyhood (Richard Linklater, 2014)
Entre une vie, un récit, une fiction, les bordures sont vivantes : incertaines, changeantes, imprévisibles.
Barbara (Mathieu Amalric, 2017)
Une hétérobiographie où, autour du secret préservé de l’autre, prolifèrent les autobiographies.
Mother (Darren Aronovsky, 2017)
Un Christ déjà mort, sacrifié avant même sa naissance, anéantit l’avenir.
La vie d’Adèle (Abdellatif Kechiche, 2013)
Une bouche-hymen qui mange, lèche, suce, jouit, parle, enseigne et pleure – sans réussir à vivre.
Camille Claudel 1915 (Bruno Dumont, 2012)
Ce qui fait la beauté irremplaçable du film et aussi sa faille, c’est que rien ne transpire du secret.
Holy Motors (Leos Carax, 2012)
Il faut, pour survivre, prendre tous les rôles, se déguiser jusqu’à épuisement.
Le cheval de Turin (Béla Tarr, 2011)
Notre monde s’efface, s’arrête, ce qui arrive est obscur, inconnu, absolument indéterminé.
L’étrange affaire Angelica (Manoel de Oliveira, 2010)
L’ange vivant de la mort appelle le photographe, il lui donne accès à un monde sans deuil, ni devoir, ni dette.
L’étreinte du serpent (Ciro Guerra, 2015)
Les traces des civilisations disparues appellent un deuil inarrêtable, une hantise infinie, qu’aucun savoir ne peut effacer.
Oncle Boonmee (Apichatpong Weerasethakul, 2010)
Il s’est souvenu d’autres vies et d’autres mondes qu’il a portés; un autre vivant surviendra, peut-être, pour les porter à nouveau.
Hatufim (série israëlienne de Guideon Raff, 2010-2012)
Par sa perte absolue d’identité, la situation du prisonnier de guerre radicalise celle du soldat.
La Bête dans la Jungle (Benoît Jacquot, 1988)
À distance de la vie courante, quotidienne, nous attend un événement archaïque, dangereux, catastrophique et pire encore : vide, sans signification ni contenu, une Bête effrayante
Inception (Christopher Nolan, 2010)
Il faut, pour surmonter sa culpabilité, faire l’expérience de l’impossible.
Sleep well (Jean-Luc Nancy, 2018)
« Je suis mort », souverainement mort, bien que vous puissiez encore voir mon corps, entendre ma parole et ma voix.
Climax (Gaspar Noé, 2018)
La version hip hop du lien communautaire (Geschlecht), son empoisonnement, sa corruption et sa dislocation.
Trois visages (Jafar Panahi, 2018)
Tout commence par un appel, « Je suis morte » : pour que le visage qui précède introduise à celui qui, déjà passé, reste à venir.
Ready Player One (Steven Spielberg, 2018)
Un film ne peut se présenter comme réel, virtuel, fantastique ou autre que parce qu’il est indiciel, indicatif
Les étendues imaginaires (Yeo Siew Hua, 2018)
Un monde clos dont les bords ne s’étendent qu’au prix d’une étrange et incontrôlable transformation.
Doubles Vies (Olivier Assayas, 2018)
Dans l’univers vide des lieux communs où tout et n’importe quoi peut être dit, il peut surgir de l’inattendu, de l’imprévisible, du nouveau.
Pont des Arts (Eugène Green, 2004)
Par sa voix, la chanteuse baroque réunit la vie, la mort, et l’au-delà de la vie, au-delà de l’être, plus que la vie.
It must be heaven (Elia Suleiman, 2019)
Puisque le monde ne répond plus, je ne peux l’interroger qu’en parfait étranger, dans la plus pure inconditionnalité, par le langage du cinéma.
La Ciénaga (Lucrecia Martel, 2001)
Une désagrégation où, dans son opposition chimérique à l’animal, l’humain se déconstruit, jusqu’à la mort d’un enfant
Memento (Christopher Nolan, 2000)
« Pour te venger, effacer tes dettes, il faut que tu t’en souviennes, même si, dans la pure présence, tu ne peux te souvenir que de rien ».
Parasite (Bong Joon-Ho, 2019)
Il n’y a pas de limite au parasitage, pas de ligne protectrice qui ne puisse être franchie.
May December (Todd Haynes, 2023)
Une relation quasi-incestueuse, non dite, met à l’épreuve les identités, déstabilise les généalogies, brouille les relations.
Lost Highway (David Lynch, 1997)
Une figure de défilement routier fait le lien entre les éléments d’un récit dont la diffraction est irréductible.
Vanya on 42nd Street (Louis Malle, 1994)
Ni fiction, ni documentaire, ni théâtre, ni cinéma, ni genre déterminé – un cinéma aporétique contaminé par la mort.
Let them all talk (Steven Soderbergh, 2021) (La grande traversée)
Entre l’œuvre, la vie, la mort, il faut que la frontière reste indécise, indéterminée, infranchissable.
Amira (Mohamed Diab, 2021)
Il suffit d’une goutte de sperme pour que s’efface la fiction d’une appartenance pure, indéniable.
My dinner with André (Louis Malle, 1981)
Principe d’hospitalité : « Je voudrais apprendre à vivre, enfin ».
Stardust Memories (Woody Allen, 1980)
Est star celui qui peut mourir sans mourir, faire du cinéma sans faire du cinéma, signer un film en le déconstruisant.
Stalker (Andreï Tarkovski, 1979)
« Viens! » dit le lieu sans vérité, sans contenu, qui en appelle aux croyances, aux mouvements, sans les déterminer (Khôra).
Trois femmes (Robert Altman, 1977)
En laissant à la femme silencieuse son lieu, son pouvoir, on peut se dégager des rôles, des stéréotypes sexuels et sociaux.
Les Diables (Ken Russel, 1971)
Il s’agit, sous l’apparence de la transgression, de sauver la distinction tranchée qui oppose le bien au mal.
Valérie et la semaine des miracles (Jaromil Jireš, 1970)
Une virginité toute autre, d’avant toute virginité.
L’esprit de la ruche (Victor Erice, 1973)
Il faut, dans ce monde dangereux, apprendre à s’engager, prendre tous les risques.
Saint-Omer (Alice Diop, 2022)
À une exigence de fidélité venue d’ailleurs, des ascendants ou d’Afrique, on ne peut répondre que par un sacrifice, ou à défaut en pleurant.
Huit et demi (Federico Fellini, 1963)
La paralyse – ce temps de fermentation ou de bouillonnement qui est aussi la khôra du réalisateur.
Pickpocket (Robert Bresson, 1959)
Jouir d’un vol, dans un désintéressement absolu, pour affirmer simultanément, sans les dissocier, son innocence et sa culpabilité.
Godland (Hlynur Pálmason, 2022)
Quand s’effondrent les limites, les parerga, rien ne peut arrêter la violence originelle, inouïe.
Le Mirage de la vie (Douglas Sirk, 1959)
Il faut soit sacrifier les mères pour laisser vivre les filles, soit sacrifier les filles pour que les mères puissent vivre selon leur désir.
Le désert rouge (Michelangelo Antonioni, 1964)
Dans les marges périphériques où le monde se perd, il n’y a personne pour me porter.
La Notte (Michelangelo Antonioni, 1961)
La nostalgie d’une extériorité impossible, dont il faut faire son deuil.
Sur l’Adamant (Nicolas Philibert, 2022)
Brouiller les frontières de la folie : une tentation de réalisateur, nécessaire, souhaitable, utopique et irréalisable.
Rester vertical (Alain Guiraudie, 2016)
Il faut, quand le phallocentrisme se désagrège, « rester vertical » sans la prothèse d’une érection, sans le prétexte d’un ordre social.
Decision to Leave (Park Chan-wook, 2022)
Un fantasme de flic où les fautes, les crimes et les trahisons se déplacent, se croisent et se neutralisent, sans jamais s’annuler.