Hostipitalité (adresse au lecteur)

Le mot, Hostipitalité, a été inventé par Jack Y. Deel1. Retenir ce mot comme titre, c’est affirmer d’emblée que l’hospitalité est toujours ambivalente, complexe, qu’elle n’est jamais très éloignée de l’hostilité, que différentes formes d’agressivité ou de violence lui sont toujours attachées; et c’est aussi, d’emblée, affirmer que malgré cela, malgré les résistances qu’elle suscite, elle est nécessaire, indispensable, incontournable. Malgréles forces qui s’opposent à elle, l’hospitalité s’impose à toi, et même plus : elle s’impose à tous, bien que parmi nous tous, seulement certains la considèrent comme une valeur positive. Si nul ne peut s’en exonérer, ce n’est ni par générosité ni par charité, c’est parce qu’il y a de l’autre, de l’altérité. Personne ne peut contrôler tout ce qui arrive, et même sans l’avoir voulu, sans l’avoir désiré, demandé, tu es forcé d’accueillir au moins une partie de ce qui vient à toi. D’une façon ou d’une autre, au-delà de toutes les vicissitudes, l’hospitalité finit toujours par s’imposer – en compagnie de sa sœur jumelle, l’hostilité.

Une fois qu’on a dit cela, qu’on a accepté cette règle générale, ce constat, l’essentiel reste à faire. Comment l’hospitalité se traduit-elle dans la vie courante, quotidienne ? Comment est-elle vécue, ressentie ? Comment la société l’encadre-t-elle en lois, règlements, principes ? Par quels vocables, quelles expressions, le discours en fait-il état ? Comment d’autres thématiques, par exemple sociale comme celle de la paix, ou linguistique comme celle de la traduction, y sont-elles reliées ? Et faut-il, ou non, la défendre comme principe, en tant que valeur ? Chacun d’entre nous peut poser ces questions et beaucoup d’autres à partir de son expérience. En choisissant d’en parler à partir des films, je prends un peu de distance à l’égard des généralités car chaque film est singulier, unique, et dans chaque film où la question de l’hospitalité est posée, directement ou indirectement, une autre problématique est ouverte. Le cinéma n’est ni la philosophie, ni la sociologie, ni la politique, ni la psychanalyse, mais il est aussi tout cela à la fois. Dans la réception de chaque film, ces démarches se mêlent, et bien d’autres. Il faut choisir, et j’ai choisi de lire ces films, les entendre, au titre d’une hostipitalité dont le concept n’est pas déterminé à l’avance, car il n’existe nulle part, dans les cieux, d’idée préétablie dont il suffirait de prélever le contenu. Pour construire, élaborer, inventer, il faut prendre le risque de la déconstruction.

  1. Source derridienne : les séminaires 1995-1997 sur L’hospitalité, Volumes 1 et 2, parus aux éditions du Seuil en 2021; De l’hospitalité, autour de Jacques Derrida, manifeste sous la direction de Mohammed Seffahi (Ed La passe du vent, 2001); Pera Peras Poros, Atelier interdisciplinaire autour de Jacques Derrida (revue Cogito, Istanbul, 1999). ↩︎
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