Senso (Luchino Visconti, 1954)
Inconditionnel, excessif, asocial, irrationnel, l’appel archi-amoureux brouille les valeurs, les noie dans une équivalence/indifférence générale
Inconditionnel, excessif, asocial, irrationnel, l’appel archi-amoureux brouille les valeurs, les noie dans une équivalence/indifférence générale
Fini de jouer! Sans chez soi ni extériorité, sans passé ni avenir, plus rien ne protège de la cruauté du monde
On ne peut photographier, dérober les images d’autrui, les interpréter, sans engager sa responsabilité, sans mettre en jeu sa culpabilité
Cinéma de l’extrême dépouillement : deuil de l’illusion, de la duplicité, du populisme, du Joker, du pharmakon et du blockbuster lui-même
J’aurai tout essayé, je me serai mise à nu, mais cela n’aura pas calmé ma faim, et me voici seule, au début
Ce qui, en-dehors de toute règle, s’interpose dans les brèches de la famille, du lien conjugal, est brutal, excessif, traumatisant, destructeur
Aux lettres d’amour maternelles, elle répond par la plus impersonnelle des répliques : une longue video postale
Témoigner d’un silence, dans le lieu impersonnel, abstrait et vide du « non-chez-soi »
Quand, dans la plus conventionnelle des histoires d’amour, l’hybride fait irruption, c’est comme chair monstrueuse, maléfique, pulsion de mort, dont il est impossible de se débarrasser
Il faut se retirer de l’amour conventionnel, conjugal, le vider, pour que commence le sexuel, le réel de la vie, l’existence, l’éthique
Quand un corps étranger, digne d’amour, dangereux, fait irruption, il faut restaurer l’unité, neutraliser la scission par l’addiction, la mort
Il faut, pour porter la tristesse d’une fin d’amour, en garder la trace, l’archive, par une célébration
Il y a en moi une violence élémentaire, incontrôlable, qui me fait haïr le lieu où j’habite, ma famille; ne pouvant y échapper, je n’ai pas d’autre choix que le meurtre
Réfléchi, calculé, désiré, commenté, conditionné, l’amour défait l’amour, c’est un amour sans amour
À défaut de « chez soi », on peut espérer, par l’amour, un lieu stable, familial, rassurant – dont on puisse librement s’éloigner
Pour remédier à des violences insupportables, des blessures irréparables, il faut un amour sauvage, hors norme, inconditionnel et illimité
Dans l’obscurité de la nuit, un autre amour peut surgir, imprévu, inespéré, inexprimé, d’une intensité inouïe, et disparaître aussitôt
Où la lesbienne enfle, enfle, et d’érection en érection, se dresse comme un phallus, éjacule fantasmatiquement et s’endort
« Il faut porter l’autre », un commandement amoureux, indispensable, irréalisable, indéfiniment répété, impossible et nécessaire
Sans habitat, sans passé, sans futur, sans monde, il ne reste que les pleurs
Un pacte de suicide où l’appel de la mort détermine l’amour, et non pas l’inverse
Une emprise sans cause, sans violence, sans initiative du dominant, est-ce possible ?
Un amour archaïque, irréductible, envers une exigence irrécusable, incontestable, précède et conditionne l’amour courant, socialisable et partageable
Les souvenirs peuvent céder place à une autre mémoire, une archi-mémoire, une insaisissable pulsion amoureuse
Un amour inconditionnel que rien ne peut démentir, ni le viol, ni l’inceste, ni le scandale
En-deçà du désir d’amour usuel, rassurant, un autre amour pourrait faire irruption : archaïque, dangereux, effrayant, catastrophique, et pire encore : aussi vide que la mort
Ce qui reste de paradis (perdu, oublié par les humains) ne survit que par la corruption et la mort, à travers le sang que prélèvent les héritiers (Adam & Eve)
Ni la vie, ni l’amour, ni la vérité n’ont de sens, pas plus que le jeu d’acteur qui les mime, alors il faut s’en retirer – c’est triste, on en pleure
Nul n’est épargné par l’impardonnable; il engendre une dette infinie, irréparable, que rien ne peut atténuer
« Je suis mort », dit-il en annulant tout engagement, tout devoir, toute dette, y compris la promesse amoureuse de celle qui voudrait le rejoindre en offrant, elle aussi, « ma mort »
Le vol d’argent n’annule ni la dette, ni l’économie; il faut pour cela des moments de gratuité qui ouvrent à la question de la liberté, sans la garantir
Un film ambivalent qui embellit l’ambivalence d’une jeune fille envers ce qu’elle a à subir.
On ne peut poursuivre la quête aporétique, chercher à posséder ce qu’on sait ne pas pouvoir posséder, qu’avec l’appui crypté de la religion.
Amalgamer les ingrédients les plus usuels du cinéma pour forclore toute interprétation rationnelle.
Entre deux gardiens de l’inconditionnel, la rencontre est aussi fatale qu’impossible.
« Dans sa folie, ma mère m’a fait le plus beau des dons : l’exigence d’une responsabilité infinie ».
Chaque jour ton corps change, tu es la même personne sans l’être et tu peux te réveiller tout·e autre.
Déjà en deuil de lui-même, il anticipait sa seule survie possible : résister, par un film, à la pulsion de mort
Réitérer, par une alliance avec le film, l’alliance entre le mort et la vie.
La poésie qui reste, c’est le don d’une page vierge où écrire son secret
L’archi-amour, genre d’amour dont il est impossible de faire son deuil, est plus réel, plus crédible encore que la réalité
Il faut, pour un deuil, partager la mémoire, la parole, le corps et les secrets du mort.
« Puisque je suis déjà mort, je n’ai pas d’autre solution que de disparaître ».
Une hétérobiographie où, autour du secret préservé de l’autre, prolifèrent les autobiographies.
Même en l’absence de deuil, je porte en moi le monde de l’autre : « C’est l’éthique même ».
Un Christ déjà mort, sacrifié avant même sa naissance, anéantit l’avenir.
Une tragédie hétéro-thanato-graphique : « Tu es en deuil de toi-même, il faut que je te porte ».
Il faut choisir librement ce qui, déjà, en secret, habite nos rêves.
Une singulière catastrophe amoureuse, incompréhensible, exceptionnelle et terrifiante, fait advenir une autre alliance, immaîtrisable et inconnue, entre la mort et la vie.
La fille a le droit de se libérer d’une exigence inconditionnelle, absolue, à laquelle le père ne peut pas se soustraire.
La collision de mondes clos n’ouvre ni avenir, ni survie.
Quand l’amour se décide, la trace se retire, elle s’efface – il faut plonger dans l’incertitude.
À distance de la vie courante, quotidienne, nous attend un événement archaïque, dangereux, catastrophique et pire encore : vide, sans signification ni contenu, une Bête effrayante
Qu’il est beau ce pharmakon! Qu’elle est belle cette apocalypse!
Un film ne peut se présenter comme réel, virtuel, fantastique ou autre que parce qu’il est indiciel, indicatif
Dans l’univers vide des lieux communs où tout et n’importe quoi peut être dit, il peut surgir de l’inattendu, de l’imprévisible, du nouveau.
Par sa voix, la chanteuse baroque réunit la vie, la mort, et l’au-delà de la vie, au-delà de l’être, plus que la vie.
Les seuls amis qui me restent sont ceux qui ne répondent pas.
Tragi-comique, scandaleux, imparable et inéluctable, l’événement sacré qui fait de Dieu une femme.
Dans une vacuité absolue, il cherche en elle un secret inavouable – mais il n’y en a pas.
Une série de pures rencontres, sans autre motif que le plaisir et le sexe, n’a pas d’autre horizon que la mort.
Une relation quasi-incestueuse, non dite, met à l’épreuve les identités, déstabilise les généalogies, brouille les relations.
Pour accéder aux souvenirs, il faut pousser toujours plus loin le mouvement de la mimesis, multiplier les dédoublements.
Où l’inceste, étranger à la chaîne des dettes et des corruptions, peut sembler réparateur.
S’arrêter sur le pont qui mène au fantasme, au rêve, en passant par la photographie.
Il faut, pour faire son deuil, spectraliser le mort, car porter un cadavre en soi, avec soi, est mortifère ».
Pour faire un couple comme pour faire un film, il faut multiplier les deuils, porter les endeuillés.
Pour s’emparer des possessions des hommes, dans son absolue souveraineté, la femme laisse libre cours à ses pulsions, y compris épistémiques
Les pères s’effacent, plus rien ne soutient les fils, il n’y a plus ni sujets, ni amis, ni amants.
Il faut, pour vivre, faire son deuil de l’amour d’avant l’amour, l’archi-amour.
Il aura fallu dire « Je suis mort » pour que commence la vie en plus, la vie supplémentée par l’œuvre, plus que la vie.
L’amour (quasi-)incestueux est le seul qui, au coeur du continent noir, soit vraiment digne de ce nom.
Derrière le regard circulaire du système des médias, il y a des pleurs – impossibles à cacher, étouffer, réprimer, arrêter, surmonter.
Principe d’hospitalité : « Je voudrais apprendre à vivre, enfin ».
Est star celui qui peut mourir sans mourir, faire du cinéma sans faire du cinéma, signer un film en le déconstruisant.
On ne peut espérer communiquer avec un mort qu’à travers un dispositif de mémoire, un artefact, mais c’est impossible, ça ne marche pas, le récit reste inachevé.
Un désir unique, singulier, déclenché par la rencontre improbable, indécise, de deux solitudes.
En espérant que d’une pure intériorité, dans les limbes réticulaires de l’apocalypse, quelque chose pourra surgir.
Il aura fallu qu’elle soit réduite à la fixité d’un portrait, prise pour morte, pour qu’elle rencontre enfin l’homme pur, intègre : le policier.
Quand la mise en acte d’une justice inconditionnelle, non négociable, appelle une solidarité sans réserve.
En disparaissant, elles suspendent le monde dans lequel le film s’inscrit – sans laisser aucun indice sur l’autre monde.
Un film, dans le film, révèle une vérité dont il témoigne par le montage.
Je dois, pour sur-vivre, me dépouiller de tout ce qui m’appartenait : identité, culture, personnalité, profession, croyances, etc.
Incapable de demander pardon, de renoncer à la perversion, elle choisit le vide, la déchéance, l’anéantissement.
Il s’agit, sous l’apparence de la transgression, de sauver la distinction tranchée qui oppose le bien au mal.
« Je suis mort » ne peut se dire que dans une langue toute autre, intraduisible.
Vivre sous la contrainte d’un devoir d’amour, un archi-amour indéterminé, insaisissable.
Archi-amour : ce sont tes dettes que j’acquitte, sans condition ni justification, au bénéfice d’un tiers.
Dans le secret de la crypte, l’amour inconditionnel conduit à l’auto-sacrifice, au retrait, au salut.
Comment s’emparer d’une femme, la posséder par son secret, la garder par sa guérison – et surtout dérober son monde.
L’instant pour moi le plus décisif, celui dont je désire le retour avec le plus d’intensité, c’est celui de « ma mort », dont je me souviens sans l’avoir vécue.
Il aura fallu, pour commencer à vivre, un avertissement supplémentaire : tu te dois à la mort.
Un parcours dans les marges où la vie courante, sentimentale-économique, se dissout, s’efface, s’éclipse.
Jouir d’un vol, dans un désintéressement absolu, pour affirmer simultanément, sans les dissocier, son innocence et sa culpabilité.
Un film sur l’amour : pas l’amour fou, mais l’amour en tant que fantasme, folie.
Pas d’union d’un couple, d’amour, de famille, sans se confronter aux traditions et à la mort.