Le Mépris (Jean-Luc Godard, 1963)
Il faut filmer, sans vergogne, au-delà de la honte et du mépris, au-delà de toute autre relation d’amour ou de conjugalité
Il faut filmer, sans vergogne, au-delà de la honte et du mépris, au-delà de toute autre relation d’amour ou de conjugalité
Pour aller plus loin, au-delà du pont, il aura fallu qu’il se vide, qu’il évacue la charge mentale du narcissisme et de la danse qui entravait sa marche
De la présence au spectre, il faut payer le prix du passage
Fini de jouer! Sans chez soi ni extériorité, sans passé ni avenir, plus rien ne protège de la cruauté du monde
J’aurai tout essayé, je me serai mise à nu, mais cela n’aura pas calmé ma faim, et me voici seule, au début
Entre la violente affirmation d’une souveraineté démesurée et la renonciation passive à toute décision, il y a complicité, voire équivalence, dont on ne peut s’extraire que par l’exigence d’un recul, d’un retrait
Aux lettres d’amour maternelles, elle répond par la plus impersonnelle des répliques : une longue video postale
Pour survivre à son suicide, il faut être la réalisatrice, pas l’actrice ni le personnage – il en reste un film
Quand s’arrête le mouvement de la différance, quand s’épuise la supplémentarité, alors l’artiste meurt, fasciné par la beauté – mais un autre artiste (Visconti) peut prendre la suite
Transformer son identité, brouiller les genres, cela n’efface ni la faute ni la dette, mais cela peut ouvrir, pour d’autres, un « pas au-delà », une épiphanie
Là où j’ai vécu, je ne suis plus chez moi, un cycle de vie s’épuise, du nouveau arrive de l’extérieur et s’impose à moi
On peut, en donnant lieu à un supplément pour l’autre, vivre plus que la vie
Un sentiment de culpabilité, enfermé dans un cycle de dette incontrôlé, peut conduire à l’injustice la plus radicale, effacer tout autre désir, toute autre éthique
Une hospitalité tellement fragmentée, menacée, impossible, qu’elle ne peut se réfugier que dans l’œuvre – et alors celle-ci l’affirme sans réserve, inconditionnellement
On répare sans cesse les erreurs, les fautes ou les mensonges, mais quand survient l’irréparable, il est impossible de compenser, il ne reste que les pleurs
Un événement évanescent, indéterminé, sans témoin crédible ni trace, on peut l’évoquer, en faire un film, un pur film, en multiplier les interprétations
« Je suis mort », dit-il en annulant tout engagement, tout devoir, toute dette, y compris la promesse amoureuse de celle qui voudrait le rejoindre en offrant, elle aussi, « ma mort »
Porter l’autre, en prendre le deuil, dans l’espoir de donner à ce qui aura été vécu une signification supplémentaire<<<;
Pour réussir dans la vie sociale, médiatique, on n’échappe pas aux stéréotypes mais on peut contribuer à leur déconstruction.
Engagé·e dans la barbarie, je dois me venger contre moi-même jusqu’à l’étape ultime où « ma mort » emporte tout, y compris l’art, l’œuvre
Au cinéma, la présence des morts est illimitée : on ne peut que les sacrifier, dissimuler leur présence sous d’autres films, toujours plus.
Déjà en deuil de lui-même, il anticipait sa seule survie possible : résister, par un film, à la pulsion de mort
Réitérer, par une alliance avec le film, l’alliance entre le mort et la vie.
Un film qui, pour se faire Œuvre de cinéma, doit être lu, entendu, expliqué, transmis, interprété, admiré.
À travers ses manifestes, l’art en personne déclare : « Sauf l’art, rien ne peut être sauvé »
Pour se dégager du monde ruiné, disloqué, détruit, des Indiens d’aujourd’hui, il faut se dissocier du présent, ouvrir des possibilités inconnues, à venir.
En voulant me transformer, je redeviens ce que je suis et son contraire, mon propre pharmakon.
Pour quiconque, il peut arriver qu’une décision souveraine, inconditionnelle, invite à la mutation, la transformation, l’hybridation.
Même en l’absence de deuil, je porte en moi le monde de l’autre : « C’est l’éthique même ».
Par les brèches de la famille, les fissures de la communauté, s’insinue une extériorité irréductible.
Ce qui fait la beauté irremplaçable du film et aussi sa faille, c’est que rien ne transpire du secret.
Une tragédie hétéro-thanato-graphique : « Tu es en deuil de toi-même, il faut que je te porte ».
Une singulière catastrophe amoureuse, incompréhensible, exceptionnelle et terrifiante, fait advenir une autre alliance, immaîtrisable et inconnue, entre la mort et la vie.
Ce qui, en plus d’un film, reste d’un tournage : le destin bouleversé des acteurs d’occasion.
L’ange vivant de la mort appelle le photographe, il lui donne accès à un monde sans deuil, ni devoir, ni dette.
Se faire orpheline, exposée au danger, pour que s’invente une autre alliance.
Les traces des civilisations disparues appellent un deuil inarrêtable, une hantise infinie, qu’aucun savoir ne peut effacer.
La collision de mondes clos n’ouvre ni avenir, ni survie.
Mal radical : un pouvoir qui oblige à décliner son identité, jusqu’à la perte totale du nom.
Complaisamment j’exhibe toutes les facettes de mon image, afin de protéger mon secret.
Tu répondras à l’autre, dans l’irresponsabilité la plus absolue.
Au cinéma, il est impossible d’interpréter sa propre mort, mais on peut toujours la jouer.
Par sa voix, la chanteuse baroque réunit la vie, la mort, et l’au-delà de la vie, au-delà de l’être, plus que la vie.
Quand disparaît la prophétie, l’espoir d’un monde à venir, alors disparaissent avec elle l’accueil de l’autre, l’hospitalité, la fraternité.
Puisque le monde ne répond plus, je ne peux l’interroger qu’en parfait étranger, dans la plus pure inconditionnalité, par le langage du cinéma.
Un cinéma de l’être rapporté à ses conditions de production, sans rêve ni fantasme, englué dans ses propres contraintes.
Il faut un compte juste pour qu’une autre économie, un autre type d’alliance et d’altérité, se mette en place.
Pour accéder aux souvenirs, il faut pousser toujours plus loin le mouvement de la mimesis, multiplier les dédoublements.
« Il faut mourir vivant »dit la photo-reporter, en laissant à d’autres les traces de son parcours, et un film.
Le souverain de banlieue, ce jeune (lionceau) incontrôlable, introduit l’imprévisible, l’incalculable, dans le lieu clos de la cité.
Pour résister aux pulsions de mort, de cruauté, il faut la pure gratuité de l’ornement féminin.
Ni fiction, ni documentaire, ni théâtre, ni cinéma, ni genre déterminé – un cinéma aporétique contaminé par la mort.
Entre l’œuvre, la vie, la mort, il faut que la frontière reste indécise, indéterminée, infranchissable.
S’ensommeiller, se retirer du monde, renoncer à l’archive, affirmer son unicité pour finalement, enfin, mourir vivant.
Il faut, pour excéder la cruauté, recueillir sa force, la transformer sans rien qui puisse la compenser : ni argent, ni amour, ni gain, ni perte.
Une séduction verbale, oblique, indirecte, instaure une liaison foisonnante mais trompeuse, décevante, déprimante.
On ne peut pas se préparer à la mort, tout ce qu’on peut faire, c’est en exiger toujours plus, plus encore que la vie.
Est star celui qui peut mourir sans mourir, faire du cinéma sans faire du cinéma, signer un film en le déconstruisant.
Se débarrasser de l’obscène, le cacher, éviter de le rendre public, telle est la morale dont il faut prendre le contre-pied.
D’où reviennent les morts, au-delà de l’être, c’est là qu’il faut aller.
Il faut garder l’avenir ouvert, sans préjuger de ses conséquences ni s’enfermer dans une définition préalable du bien et du mal.
En espérant que d’une pure intériorité, dans les limbes réticulaires de l’apocalypse, quelque chose pourra surgir.
Je dois m’immoler par le feu, j’y suis poussé, incité sans but, sans raison, justification ni condition.
En disparaissant, elles suspendent le monde dans lequel le film s’inscrit – sans laisser aucun indice sur l’autre monde.
Il vaut mieux, pour se dégager du deuil, choisir le pas de côté qui éloigne du réel.
Je dois, pour sur-vivre, me dépouiller de tout ce qui m’appartenait : identité, culture, personnalité, profession, croyances, etc.
On peut pallier, par l’œuvre, la perte d’un regard unique, irremplaçable.
Perdre un monde suppose de renoncer aussi à une part de soi , un quasi-suicide qui conditionne la possibilité de continuer à vivre.
Incapable de demander pardon, de renoncer à la perversion, elle choisit le vide, la déchéance, l’anéantissement.
Déliée de toute dette, elle reste paralysée au bord de l’inconditionnel.
Porter à l’excès la logique de l’échange pour faire un pas au-delà, le dernier pas, indifférent à l’échange.
À une exigence de fidélité venue d’ailleurs, des ascendants ou d’Afrique, on ne peut répondre que par un sacrifice, ou à défaut en pleurant.
Archi-amour : ce sont tes dettes que j’acquitte, sans condition ni justification, au bénéfice d’un tiers.
Faire payer à l’autre l’écart entre survie et sur-vie.
Un collage de phrases mortes qui ne promet rien, n’engage à rien, mais appelle l’adhésion.
Dans le secret de la crypte, l’amour inconditionnel conduit à l’auto-sacrifice, au retrait, au salut.
La paralyse – ce temps de fermentation ou de bouillonnement qui est aussi la khôra du réalisateur.
Une grand-mère pour toujours sur le point de mourir, sans jamais franchir le pas.
Il aura fallu, pour commencer à vivre, un avertissement supplémentaire : tu te dois à la mort.
Quand l’ancrage territorial et temporel du cinéma risque de s’effacer, il faut attacher sa ceinture et continuer.
Un regard dans le film en appelle au-delà du film à un autre regard qui témoigne d’une alliance oto-biographique.
Le cinéma est un art discrépant, où sons, images, significations, etc., quoique simultanés, ne parviennent pas à s’accorder.
Nettoyer, dans un pur linceul, la crainte et la culpabilité.
Quand le monde se délite, il faut préserver l’ultime courage : porter l’enfant à naître.
En portant l’enfant mort, le voyant fait le deuil de ce que lui-même a été.
Une auto-hétéro-bio-thanato-graphie féminine où chaque femme semble jouer le rôle d’une autre, jusqu’à l’épuisement.
Au-delà de la tragédie, du destin (œdipien), il est possible de transmuer la dette.