Présentation

C’est à toi, cher Jack Y. Deel, que j’emprunte ce mot, déconstruction. Je ne reviens pas sur les conditions dans lesquelles il a été inventé ou emprunté, comment il est devenu un mot philosophique, un mot symbole, un mot politique, presque une injure. Je l’emploie sans réserve, pour toutes ses significations, dans les conditions où j’écris, ce jour d’aujourd’hui : un mot ambivalent, complexe, torturé, martyrisé, dénaturé. D’un côté, il est entré dans le langage courant : on déconstruit dans l’industrie, dans le bâtiment, à la cuisine, on trouve de la déconstruction à peu près partout, dans la culture, dans l’enseignement, dans la société, on accuse les déconstructeurs de tous les maux y compris ceux qui n’existaient pas à ton époque, comme le wokisme1. Je sais que je m’expose à la contestation, à l’agressivité, voire à la haine, mais voilà, je n’y peux rien, j’ai décidé de reprendre ce mot à mon compte, de le harceler encore un peu plus pour en tirer le maximum. Je ne me cache pas derrière mon petit doigt, je revendique la prise de risque.

Il ne s’agit pas de faire des « critiques » de films, au sens traditionnel. Il ne s’agit pas non plus de les analyser dans leur globalité (ce qui, d’ailleurs, est impossible). Il s’agit de s’appuyer sur certaines de leurs dimensions, un aspect, une tendance, une expression, pour faire surgir ce qui aurait pu rester, en eux, inconnu. Il s’agit de se laisser enseigner par eux, chaque film dans sa singularité, dans son unicité (mais pas n’importe quel film, bien entendu). Peu importent les genres, les classements, les jugements, peu importe que le film soit « bon » ou « mauvais », qu’il soit « cinématographique » ou pas, si quelque chose de lui s’impose à mon écoute, à ma sensibilité, à mon intellect. Si cela arrive je ne recule pas, ça déconstruit. Le film m’oblige à regarder la situation en face, mais je ne m’arrête pas là. La question qui m’intéresse, me motive, n’est pas celle de l’analyse, de l’interprétation ou de la compréhension, c’est celle du pas au-delà, qu’il soit franchi par le film ou par celui qui est engagé, impliqué par lui (moi, toi, l’autre). Au-delà de quoi ? Du souverain (au-delà du souverain, l’une des définitions possibles de la déconstruction), de l’économie, de la présence, de la violence, de la cruauté, et même de l’être, comme nous y engage une très longue tradition. Le cinéma ne recule devant rien.

Et maintenant je signe, car ce type d’engagement, ça ne peut pas rester anonyme.

Pierre Delain

  1. L’avantage de ce mot, c’est qu’au fond, personne ne sait ce qu’il signifie, ce qui n’empêche pas les « anti-wokistes » de s’en servir toujours dans le même sens : détruire autant que possible les droits de l’homme, la démocratie, l’égalité, la justice. Il suffit de voir ce qu’ils font quand, par malheur, ils sont au pouvoir. ↩︎
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