Allégation souveraine et phallogocentrisme vont ensemble, aucune dénégation ne peut les dissocier
On peut, au nom de son autonomie, de son indépendance, de sa liberté, de sa souveraineté, déclarer son hostilité à l’égard d’un système d’organisation sociale traditionnellement dominé par les hommes, qu’on l’appelle patriarcat, phallocentrisme ou phallogocentrisme, ordre hiérarchique ou pouvoir capitaliste. C’est une lutte, un combat dans lequel je m’affirme comme personne décisionnaire, source de droit, de volonté, d’action. L’une des difficultés tient au caractère nécessairement frontal de cette rivalité. En dénonçant les méthodes de l’autre, je risque de les imiter, de chercher à m’imposer comme encore plus puissant, efficace, souverain, que la partie adverse – et finalement croyant l’affaiblir, de la légitimer et de la renforcer. C’est ce qu’on appelle parfois le backlash : si l’on ne croit qu’au rapport de force, on prend le risque que le rapport s’inverse. Peut-être a-t-on plus de chance de réussir en chassant en soi l’ambition souveraine. Il ne s’agit plus alors de battre et de combattre l’adversaire, mais de le suspendre. On peut rêver d’un combat qui ne soit pas entièrement gouverné par l’écart de puissance.
Basic Instinct, film de Paul Verhoeven (1982) met en scène avec brio l’impasse du féminisme souverain. Catherine Tramell est belle, riche, intelligente, elle écrit des romans à succès qui se terminent mal (au moins un mort) mais fascinent le public. Qu’a-t-elle besoin de plus ? Pourquoi ajoute-t-elle à cela le besoin d’humilier les hommes, de leur faire sentir à quel point ils ne sont que des pantins, et d’ajouter de temps à autre un meurtre à son tableau de chasse ? Elle n’est pas seulement femme, elle rivalise avec les lieux dominés par l’homme (blanc de préférence) : police, justice, sexualité, savoir, contrôle, habileté (y compris la conduite automobile), insensibilité, immoralité, violence. Il faut qu’elle démontre que c’est elle qui décide et que personne ne peut la manipuler. Son féminisme ne combat pas la domination phallique, il se l’approprie.