Le Déserteur (Dani Rosenberg, 2023)
Pris dans une confrontation stérile, sans raison ni projet, le jeune désorienté n’a d’autre choix que de se retirer lui aussi, sans raison, sans justification ni projet
Pris dans une confrontation stérile, sans raison ni projet, le jeune désorienté n’a d’autre choix que de se retirer lui aussi, sans raison, sans justification ni projet
Nul n’est épargné par l’impardonnable; il engendre une dette infinie, irréparable, que rien ne peut atténuer
Un événement évanescent, indéterminé, sans témoin crédible ni trace, on peut l’évoquer, en faire un film, un pur film, en multiplier les interprétations
« Je suis mort », dit-il en annulant tout engagement, tout devoir, toute dette, y compris la promesse amoureuse de celle qui voudrait le rejoindre en offrant, elle aussi, « ma mort »
Il ne suffit pas de vouloir atténuer ses fautes pour accéder au monde du sans-calcul, du sans-condition
Porter l’autre, en prendre le deuil, dans l’espoir de donner à ce qui aura été vécu une signification supplémentaire<<<;
Pour réussir dans la vie sociale, médiatique, on n’échappe pas aux stéréotypes mais on peut contribuer à leur déconstruction.
On peut, par le cinéma, fabriquer un ersatz de multivers par lequel s’instille le retour obsédant de la spectralité
Le vol d’argent n’annule ni la dette, ni l’économie; il faut pour cela des moments de gratuité qui ouvrent à la question de la liberté, sans la garantir
La circulation de l’argent est a-morale, irrationnelle; ce ne sont pas les marchandises qui circulent mais la faute, sans souci d’équilibre, d’éthique ni de justice
Un film ambivalent qui embellit l’ambivalence d’une jeune fille envers ce qu’elle a à subir.
On ne peut poursuivre la quête aporétique, chercher à posséder ce qu’on sait ne pas pouvoir posséder, qu’avec l’appui crypté de la religion.
Amalgamer les ingrédients les plus usuels du cinéma pour forclore toute interprétation rationnelle.
D’autres regards vivants, angoissés, désespérés, inouïs, inaccessibles, intraduisibles, émergent des marges de la ville.
Engagé·e dans la barbarie, je dois me venger contre moi-même jusqu’à l’étape ultime où « ma mort » emporte tout, y compris l’art, l’œuvre
(Se) laisser dire « Je suis morte » n’est pas sans risque ! Et si l’on vous croyait !
Entre deux gardiens de l’inconditionnel, la rencontre est aussi fatale qu’impossible.
Chaque jour ton corps change, tu es la même personne sans l’être et tu peux te réveiller tout·e autre.
Au cinéma, la présence des morts est illimitée : on ne peut que les sacrifier, dissimuler leur présence sous d’autres films, toujours plus.
Il n’y a dans le monde que des marionnettes identiques à la voix identique, sauf dans un moment d’exception, unique, déstabilisant, irrépétable.
Réitérer, par une alliance avec le film, l’alliance entre le mort et la vie.
Il aura fallu, pour entendre le secret dont l’autre témoigne, en passer par un « Je suis mort »
Une voix parle au nom du Rien (comme si tous les riens, la multiplicité des riens, ne pouvaient se rapporter qu’à ce Rien unique, en ruine)
À travers ses manifestes, l’art en personne déclare : « Sauf l’art, rien ne peut être sauvé »
Il faut, pour un deuil, partager la mémoire, la parole, le corps et les secrets du mort.
Entre une vie, un récit, une fiction, les bordures sont vivantes : incertaines, changeantes, imprévisibles.
En voulant me transformer, je redeviens ce que je suis et son contraire, mon propre pharmakon.
Une hétérobiographie où, autour du secret préservé de l’autre, prolifèrent les autobiographies.
Un film construit pour qu’on ne puisse en tirer aucune conclusion définitive : un thriller aporétique.
Un fil caché aussi ambigu qu’un pharmakon, qu’un hymen.
Un Christ déjà mort, sacrifié avant même sa naissance, anéantit l’avenir.
Une bouche-hymen qui mange, lèche, suce, jouit, parle, enseigne et pleure – sans réussir à vivre.
Ce qui fait la beauté irremplaçable du film et aussi sa faille, c’est que rien ne transpire du secret.
Il faut, pour survivre, prendre tous les rôles, se déguiser jusqu’à épuisement.
Il est « minuit à Paris » et la différance, insistante, fait craquer les couples.
Notre monde s’efface, s’arrête, ce qui arrive est obscur, inconnu, absolument indéterminé.
Ce qui, en plus d’un film, reste d’un tournage : le destin bouleversé des acteurs d’occasion.
L’ange vivant de la mort appelle le photographe, il lui donne accès à un monde sans deuil, ni devoir, ni dette.
Les traces des civilisations disparues appellent un deuil inarrêtable, une hantise infinie, qu’aucun savoir ne peut effacer.
Où le cycle de la dette est corrompu, ruiné, asservi aux commerces de la drogue et du cinéma.
Il s’est souvenu d’autres vies et d’autres mondes qu’il a portés; un autre vivant surviendra, peut-être, pour les porter à nouveau.
Quand l’amour se décide, la trace se retire, elle s’efface – il faut plonger dans l’incertitude.
Par sa perte absolue d’identité, la situation du prisonnier de guerre radicalise celle du soldat.
À distance de la vie courante, quotidienne, nous attend un événement archaïque, dangereux, catastrophique et pire encore : vide, sans signification ni contenu, une Bête effrayante
Qu’il est beau ce pharmakon! Qu’elle est belle cette apocalypse!
Il faut, pour surmonter sa culpabilité, faire l’expérience de l’impossible.
Esquisse d’une autre communauté où l’éthique des singularités prévaut sur la solidarité de groupe.
La souveraine innocence de l’amour inconditionnel face à la femme bafouée, envoûtante, souveraine elle aussi, qui calcule son plaisir.
On ne peut ni s’approprier une signature, ni usurper un nom innocemment.
Un frère mort, disparu, peut gouverner une vie et aussi induire une pensée spectrale, supplémentaire : la déconstruction.
« Je suis mort », souverainement mort, bien que vous puissiez encore voir mon corps, entendre ma parole et ma voix.
La version hip hop du lien communautaire (Geschlecht), son empoisonnement, sa corruption et sa dislocation.
Tout commence par un appel, « Je suis morte » : pour que le visage qui précède introduise à celui qui, déjà passé, reste à venir.
Tu répondras à l’autre, dans l’irresponsabilité la plus absolue.
Dans leur bulle, inutiles et irrécupérables, les héros de la scène rock sont plus moraux encore que la moralité.
Un film ne peut se présenter comme réel, virtuel, fantastique ou autre que parce qu’il est indiciel, indicatif
Au cinéma, il est impossible d’interpréter sa propre mort, mais on peut toujours la jouer.
Un monde clos dont les bords ne s’étendent qu’au prix d’une étrange et incontrôlable transformation.
Dans l’univers vide des lieux communs où tout et n’importe quoi peut être dit, il peut surgir de l’inattendu, de l’imprévisible, du nouveau.
Par sa voix, la chanteuse baroque réunit la vie, la mort, et l’au-delà de la vie, au-delà de l’être, plus que la vie.
Il aura fallu, pour que le fils prenne la place de l’antéchrist, carboniser le père, décapiter les femmes, réduire le logos en cendres.
Puisque le monde ne répond plus, je ne peux l’interroger qu’en parfait étranger, dans la plus pure inconditionnalité, par le langage du cinéma.
Un cinéma de l’être rapporté à ses conditions de production, sans rêve ni fantasme, englué dans ses propres contraintes.
Une désagrégation où, dans son opposition chimérique à l’animal, l’humain se déconstruit, jusqu’à la mort d’un enfant
Au vivant inconditionnellement étranger à « notre » monde (l’autiste), on ne peut répondre que par l’exception, elle aussi inconditionnelle : « Je dois te porter ».
Il faut un compte juste pour qu’une autre économie, un autre type d’alliance et d’altérité, se mette en place.
« Pour te venger, effacer tes dettes, il faut que tu t’en souviennes, même si, dans la pure présence, tu ne peux te souvenir que de rien ».
Où la décision juste, crédible, ne repose plus sur le témoignage mais sur la trace calculable.
Une série de pures rencontres, sans autre motif que le plaisir et le sexe, n’a pas d’autre horizon que la mort.
Il n’y a pas de limite au parasitage, pas de ligne protectrice qui ne puisse être franchie.
« Il faut œuvrer », à condition que l’orientation choisie reste suspendue à l’indécision ».
Une relation quasi-incestueuse, non dite, met à l’épreuve les identités, déstabilise les généalogies, brouille les relations.
Une force excessive, inquiétante, souveraine, s’impose sans considération ni pour la vie, ni pour la mort, ni pour la crédibilité du récit.
Une figure de défilement routier fait le lien entre les éléments d’un récit dont la diffraction est irréductible.
Pour accéder aux souvenirs, il faut pousser toujours plus loin le mouvement de la mimesis, multiplier les dédoublements.
« Ce que Lola veut, Lola l’obtient »; un siècle plus tard, elle aura suscité son film porté par un célèbre réalisateur, aussi excessif et démesuré qu’elle-même.
Pour résister aux pulsions de mort, de cruauté, il faut la pure gratuité de l’ornement féminin.
Ni fiction, ni documentaire, ni théâtre, ni cinéma, ni genre déterminé – un cinéma aporétique contaminé par la mort.
Où l’on laisse à voir et entendre que tout film est fondé sur le sacrifice de la femme par des morts-vivant.
Dernier roman, dernier film, dernier producteur, dernière scène, et tout reste dans l’inachèvement.
Un film qui démontre l’impossibilité de l’art, et creuse son tombeau.
Entre l’œuvre, la vie, la mort, il faut que la frontière reste indécise, indéterminée, infranchissable.
S’ensommeiller, se retirer du monde, renoncer à l’archive, affirmer son unicité pour finalement, enfin, mourir vivant.
L’alcool peut aussi, parfois et sans prévenir, se faire pharmakon.
Qui parasite l’autre prend le risque d’être parasité par l’autre.
Quand le consentement meurtrier, banalisé, ne dérange plus personne, la responsabilité devient un danger mortel.
Pour qu’advienne le « oui », il faut se laisser aller à un cheminement vide, vacant, et implorer.
Il faut, pour vivre, faire son deuil de l’amour d’avant l’amour, l’archi-amour.
Il aura fallu dire « Je suis mort » pour que commence la vie en plus, la vie supplémentée par l’œuvre, plus que la vie.
L’amour (quasi-)incestueux est le seul qui, au coeur du continent noir, soit vraiment digne de ce nom.
Il suffit d’une goutte de sperme pour que s’efface la fiction d’une appartenance pure, indéniable.
Derrière le regard circulaire du système des médias, il y a des pleurs – impossibles à cacher, étouffer, réprimer, arrêter, surmonter.
Principe d’hospitalité : « Je voudrais apprendre à vivre, enfin ».
Pour que du nouveau émerge, il faut une désynchronisation, un décalage, qui relance la dialectique entre l’Autrefois et le Maintenant.
S’auto-punir en s’emparant, par un geste de cruauté impardonnable, de la poupée perdue d’une petite fille abandonnée.
Est star celui qui peut mourir sans mourir, faire du cinéma sans faire du cinéma, signer un film en le déconstruisant.