L’Empire (Bruno Dumont, 2023)

Chute dans le trou noir de l’ambivalence générale.

C’est une histoire d’amour à la Roméo et Juliette où le Romeo (Jony1) et la Juliette (Jane2) habitent le même village mais ne sont pas dans le même camp, d’un côté le Bien féminin incarné par la Reine Camille Cottin avec un vaisseau en forme de cathédrale et d’un autre le mal masculin incarné par Fabrice Lucchini en Belzébuth, avec un vaisseau en forme d’immense chateau (l’Elysée). Ils semblent s’opposer mais l’opposition est très relative. Les deux vaisseaux sont aussi grands que vides et semblent aussi complices que l’église et le pouvoir en théologie politique. Il y a si peu d’écart entre le Bien et le Mal qu’ils se nomment 0 et 1, comme s’ils n’étaient que les versants symétriques d’une digitalisation générale, et qu’ils finissent par se confondre quand Jony et Jane font l’amour sur un mode passablement phallocratique3. A la fin du film leur destin est exactement identique, puisqu’ils se mêlent indissociablement dans un trou noir, entraînant avec eux les corps des personnages qui y perdent leur singularité et leur autonomie. S’il y a une morale de l’histoire, c’est que dans le combat général, personne ne retrouve ses petits.

Jony serait le géniteur d’une sorte d’Antéchrist, un petit garçon nommé le Margat ou Freddy pour les intimes4, mais là encore ce n’est pas clair. La mère de l’enfant rompt avec lui et meurt décapitée dans un accident provoqué par un certain Rudi, militant de l’autre côté, qui prétend avoir lui aussi contribué à la paternité de l’enfant. On ne peut pas dire que cet acte de décapitation, réitéré sur un autre individu, soit clairement situable du côté du Bien – tandis que l’autre jeune fille qui tente de séduire Jony5 n’est pas plus mauvaise que la belle Jane. Dans cette confusion, ce brouillage général des valeurs, cet humour qui ne se prend même pas lui-même au sérieux, ce Space Opera confiné dans les plages et les champs de Boulogne-sur-mer, entre mer, terre et ciel, ces dieux et démons réduits au plus commun des gens du commun, l’ordre et la loi sont représentés par des gendarmes burlesques surgis d’un précédent film de Bruno Dumont (P’tit Quinquin, 2014). La boucle se boucle sur une apocalypse visuelle, une goutte d’excès dans un océan de simplicité.

  1. Interprété par Brandon Vrieghe. ↩︎
  2. Interprétée par la belle et sensuelle Anamaria Vartolomei. ↩︎
  3. Qu’aurait refusé Adèle Haenel, à qui le rôle fut proposé. ↩︎
  4. Il s’agit du héros d’un précédent film de Bruno Dumont, La Vie de Jésus (1997). ↩︎
  5. Interprétée par l’actrice amateur Lyna Khoudri. ↩︎
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Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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