Diamant Brut (Agathe Riedinger, 2024)
On ne peut valoriser « ce que je suis », la fiction identitaire du soi-même, que par une mystique de la reconnaissance de soi par autrui
On ne peut valoriser « ce que je suis », la fiction identitaire du soi-même, que par une mystique de la reconnaissance de soi par autrui
Pour aller plus loin, au-delà du pont, il aura fallu qu’il se vide, qu’il évacue la charge mentale du narcissisme et de la danse qui entravait sa marche
Il est dangereux de s’exposer au secret d’autrui, et encore plus dangereux de vouloir y intervenir
Il faut, pour sauver le cycle répétitif de la vie, abolir tout événement qui viendrait le perturber, au risque de déclencher un événement plus grave encore, plus destructeur encore
Témoigner d’un silence, dans le lieu impersonnel, abstrait et vide du « non-chez-soi »
L’écran n’est pas extérieur au corps : il le parasite, le colonise, le soumet, le remplace, y ajoute toujours plus de dépendances et de sensations, et enfin survit à sa mort
Un avenir qui se voudrait inconnu (X), brillant, qui, sans craindre la répétition cauchemardesque de cruautés passées, pourrait ajouter autre chose, imprévisible
Une force inconnue, difficilement descriptible, confère à certains actes de certaines personnes une extériorité unique, une capacité à se distinguer du commun, à faire événement
Transformer son identité, brouiller les genres, cela n’efface ni la faute ni la dette, mais cela peut ouvrir, pour d’autres, un « pas au-delà », une épiphanie
Pour remédier à des violences insupportables, des blessures irréparables, il faut un amour sauvage, hors norme, inconditionnel et illimité
Pris dans une confrontation stérile, sans raison ni projet, le jeune désorienté n’a d’autre choix que de se retirer lui aussi, sans raison, sans justification ni projet
« Je suis mort », dit-il en annulant tout engagement, tout devoir, toute dette, y compris la promesse amoureuse de celle qui voudrait le rejoindre en offrant, elle aussi, « ma mort »
Porter l’autre, en prendre le deuil, dans l’espoir de donner à ce qui aura été vécu une signification supplémentaire<<<;
On ne peut poursuivre la quête aporétique, chercher à posséder ce qu’on sait ne pas pouvoir posséder, qu’avec l’appui crypté de la religion.
Engagé·e dans la barbarie, je dois me venger contre moi-même jusqu’à l’étape ultime où « ma mort » emporte tout, y compris l’art, l’œuvre
Enfermement et décrépitude sont indissociables; avec la clôture des frontières, toujours plus impérieuse, la déchéance ne peut que faire retour.
Au cinéma, la présence des morts est illimitée : on ne peut que les sacrifier, dissimuler leur présence sous d’autres films, toujours plus.
Par-delà la vengeance, la destruction des corps, des croyances et des superstitions ennemis, s’ouvre un avenir sans ressentiment ni compensation, sans désir de puissance, ni viril ni phallique.
Il aura fallu, pour entendre le secret dont l’autre témoigne, en passer par un « Je suis mort »
Une voix parle au nom du Rien (comme si tous les riens, la multiplicité des riens, ne pouvaient se rapporter qu’à ce Rien unique, en ruine)
À travers ses manifestes, l’art en personne déclare : « Sauf l’art, rien ne peut être sauvé »
« Dès que je m’efforce de la respecter, la loi défaille »
Un Christ déjà mort, sacrifié avant même sa naissance, anéantit l’avenir.
Par les brèches de la famille, les fissures de la communauté, s’insinue une extériorité irréductible.
Pour échapper au jugement, il ne suffit pas que l’autre prenne sur lui tout le poids de la faute.
L’ange vivant de la mort appelle le photographe, il lui donne accès à un monde sans deuil, ni devoir, ni dette.
Se faire orpheline, exposée au danger, pour que s’invente une autre alliance.
On ne peut répondre à la cruauté, inexplicable et injustifiable, que par un au-delà de la cruauté, tout aussi inexplicable et injustifiable.
Un frère mort, disparu, peut gouverner une vie et aussi induire une pensée spectrale, supplémentaire : la déconstruction.
Pour ceux qui ont vécu la Shoah, la vie s’est arrêtée : il ne reste plus que des survivants.
L’innocence exige une réparation aussi grandiose ou monstrueuse que la faute – et aussi le retour à l’ordre et à la loi.
Pour se sauver soi-même, il est préférable de pardonner : punir l’autre, ce serait se punir soi-même et s’interdire la transgression
Il aura fallu, pour que le fils prenne la place de l’antéchrist, carboniser le père, décapiter les femmes, réduire le logos en cendres.
Quand disparaît la prophétie, l’espoir d’un monde à venir, alors disparaissent avec elle l’accueil de l’autre, l’hospitalité, la fraternité.
Tragi-comique, scandaleux, imparable et inéluctable, l’événement sacré qui fait de Dieu une femme.
Par la grâce d’une amnésie purificatrice qui annule les fautes, innocente, immunise du passé – on peut recevoir le pardon.
Puisque le monde ne répond plus, je ne peux l’interroger qu’en parfait étranger, dans la plus pure inconditionnalité, par le langage du cinéma.
Une désagrégation où, dans son opposition chimérique à l’animal, l’humain se déconstruit, jusqu’à la mort d’un enfant
Au vivant inconditionnellement étranger à « notre » monde (l’autiste), on ne peut répondre que par l’exception, elle aussi inconditionnelle : « Je dois te porter ».
Pour résister aux pulsions de mort, de cruauté, il faut la pure gratuité de l’ornement féminin.
Où l’on laisse à voir et entendre que tout film est fondé sur le sacrifice de la femme par des morts-vivant.
L’argent-voyou, qui semble exonéré et exonérer de toute dette, appelle la chance et porte la malédiction.
Les pères s’effacent, plus rien ne soutient les fils, il n’y a plus ni sujets, ni amis, ni amants.
Une séduction verbale, oblique, indirecte, instaure une liaison foisonnante mais trompeuse, décevante, déprimante.
Il suffit d’une goutte de sperme pour que s’efface la fiction d’une appartenance pure, indéniable.
En se soustrayant à la logique de l’échange, le Juif perd tout, il est absolument exproprié, y compris de sa propre identité.
Est star celui qui peut mourir sans mourir, faire du cinéma sans faire du cinéma, signer un film en le déconstruisant.
« Viens! » dit le lieu sans vérité, sans contenu, qui en appelle aux croyances, aux mouvements, sans les déterminer (Khôra).
Pour se sauver, il faut affronter l’impardonnable.
Perpétuer le deuil comme tel, en jouir, c’est le nier : en s’appropriant les morts, on exerce sur eux pouvoir et souveraineté.
Le défaut absolu d’hospitalité conduit à la folie, au suicide.
Plus la transgression est excessive, et plus elle reconduit le cycle de la dette.
Il s’agit, sous l’apparence de la transgression, de sauver la distinction tranchée qui oppose le bien au mal.
Au cœur de la plus phallogo-polémo-centrique des comédies, un homme impuissant ressuscite, en paix avec lui-même, après la Cène
Porter à l’excès la logique de l’échange pour faire un pas au-delà, le dernier pas, indifférent à l’échange.
Ce film qui se termine par « rien » déclare, au-delà de tous les simulacres, rôles ou jeux sociaux, la valeur incommensurable de ce « rien ».
Jouir d’un vol, dans un désintéressement absolu, pour affirmer simultanément, sans les dissocier, son innocence et sa culpabilité.
Quand s’effondrent les limites, les parerga, rien ne peut arrêter la violence originelle, inouïe.
À l’acmé de la violence, du calcul politique qui voue Aldo Moro au sacrifice, se pose la question de l’au-delà du pouvoir, du politique.
Allemands et Polonais se combattent, se font la guerre, échangent leurs rôles, et finalement, c’est le Juif qui est sacrifié.
Le premier film parlant a pour thème la dissociation voix/corps/identité; il voudrait faire croire à leur coïncidence, si elle était possible.
Avec la perfection du film muet, convergent l’apologie de l’amour et celle de la beauté adhérente en art.
La paternité n’est pas biologique, mais performative : est père celui dont l’enfant croit qu’il est le père