Romance (Catherine Breillat, 1998)
Il faut se retirer de l’amour conventionnel, conjugal, le vider, pour que commence le sexuel, le réel de la vie, l’existence, l’éthique
Il faut se retirer de l’amour conventionnel, conjugal, le vider, pour que commence le sexuel, le réel de la vie, l’existence, l’éthique
Dans l’obscurité de la nuit, un autre amour peut surgir, imprévu, inespéré, inexprimé, d’une intensité inouïe, et disparaître aussitôt
Un sentiment de culpabilité, enfermé dans un cycle de dette incontrôlé, peut conduire à l’injustice la plus radicale, effacer tout autre désir, toute autre éthique
Un amour inconditionnel que rien ne peut démentir, ni le viol, ni l’inceste, ni le scandale
« Je suis mort », dit-il en annulant tout engagement, tout devoir, toute dette, y compris la promesse amoureuse de celle qui voudrait le rejoindre en offrant, elle aussi, « ma mort »
Il ne suffit pas de vouloir atténuer ses fautes pour accéder au monde du sans-calcul, du sans-condition
La circulation de l’argent est a-morale, irrationnelle; ce ne sont pas les marchandises qui circulent mais la faute, sans souci d’équilibre, d’éthique ni de justice
On ne peut poursuivre la quête aporétique, chercher à posséder ce qu’on sait ne pas pouvoir posséder, qu’avec l’appui crypté de la religion.
Amalgamer les ingrédients les plus usuels du cinéma pour forclore toute interprétation rationnelle.
Engagé·e dans la barbarie, je dois me venger contre moi-même jusqu’à l’étape ultime où « ma mort » emporte tout, y compris l’art, l’œuvre
Le jugement final, c’est que nul ne peut témoigner de la vérité.
Entre deux gardiens de l’inconditionnel, la rencontre est aussi fatale qu’impossible.
Il n’y a dans le monde que des marionnettes identiques à la voix identique, sauf dans un moment d’exception, unique, déstabilisant, irrépétable.
Il aura fallu, pour entendre le secret dont l’autre témoigne, en passer par un « Je suis mort »
En photographiant ceux qu’on aime, on les tue, et ce meurtre déclenche une cascade de culpabilité, de folie et de mort
Il faut, pour un deuil, partager la mémoire, la parole, le corps et les secrets du mort.
Aucun mur, aucune indifférence, aucun déni, aucune stratégie d’évitement, ne peut empêcher la contamination par la cruauté, le meurtre de masse.
Je suis double mais l’autre en moi, mon jumeau, est déjà mort » – un dédoublement qui ne franchit pas la limite du « deux.
Une tragédie hétéro-thanato-graphique : « Tu es en deuil de toi-même, il faut que je te porte ».
Ce n’est pas pour ses propres fautes qu’on paie, mais pour celles d’un autre.
Pour échapper au jugement, il ne suffit pas que l’autre prenne sur lui tout le poids de la faute.
La fille a le droit de se libérer d’une exigence inconditionnelle, absolue, à laquelle le père ne peut pas se soustraire.
Où le cycle de la dette est corrompu, ruiné, asservi aux commerces de la drogue et du cinéma.
Il faut, pour surmonter sa culpabilité, faire l’expérience de l’impossible.
Mal radical : un pouvoir qui oblige à décliner son identité, jusqu’à la perte totale du nom.
Esquisse d’une autre communauté où l’éthique des singularités prévaut sur la solidarité de groupe.
On ne peut ni s’approprier une signature, ni usurper un nom innocemment.
L’innocence exige une réparation aussi grandiose ou monstrueuse que la faute – et aussi le retour à l’ordre et à la loi.
Pour se sauver soi-même, il est préférable de pardonner : punir l’autre, ce serait se punir soi-même et s’interdire la transgression
Trouver le coupable, c’est impossible, mais ne pas trouver de coupable, c’est intenable, insupportable.
Il n’y a pas de limite au parasitage, pas de ligne protectrice qui ne puisse être franchie.
« Il faut mourir vivant »dit la photo-reporter, en laissant à d’autres les traces de son parcours, et un film.
S’arrêter sur le pont qui mène au fantasme, au rêve, en passant par la photographie.
Jamais les excuses ni les regrets ne seront à la hauteur du mal fait.
L’amour (quasi-)incestueux est le seul qui, au coeur du continent noir, soit vraiment digne de ce nom.
S’auto-punir en s’emparant, par un geste de cruauté impardonnable, de la poupée perdue d’une petite fille abandonnée.
Se débarrasser de l’obscène, le cacher, éviter de le rendre public, telle est la morale dont il faut prendre le contre-pied.
Pour se sauver, il faut affronter l’impardonnable.
Perpétuer le deuil comme tel, en jouir, c’est le nier : en s’appropriant les morts, on exerce sur eux pouvoir et souveraineté.
Pour prouver la théorie freudienne qu’il enseigne, le professeur fait un rêve qui parodie cette théorie, en même temps qu’il parodie le film noir.
« Il faut que je te porte », pour que tu m’ouvres les yeux.
Plus la transgression est excessive, et plus elle reconduit le cycle de la dette.
Il vaut mieux, pour se dégager du deuil, choisir le pas de côté qui éloigne du réel.
L’innocent qui apparaît dans les fantasmes peut porter tout le poids de la faute, se muer en coupable universel.
Là où des cadavres se nourrissent de cadavres, ça ne fait plus monde, c’est sans monde.
Il faut, dans ce monde dangereux, apprendre à s’engager, prendre tous les risques.
Faire payer à l’autre l’écart entre survie et sur-vie.
Dans le secret de la crypte, l’amour inconditionnel conduit à l’auto-sacrifice, au retrait, au salut.
Comment s’emparer d’une femme, la posséder par son secret, la garder par sa guérison – et surtout dérober son monde.
En racontant la vie d’un autre, je transgresse l’impossibilité de raconter ma propre mort.
Jouir d’un vol, dans un désintéressement absolu, pour affirmer simultanément, sans les dissocier, son innocence et sa culpabilité.
Aporie de l’amour inconditionnel : en exigeant le sacrifice de tout autre intérêt, il se soumet à une condition irréalisable, mortifère.
Nettoyer, dans un pur linceul, la crainte et la culpabilité.
Nul n’est innocent, il y a toujours un gouffre dans lequel chuter.
Pour qui aime sans calcul ni condition, sans exiger aucune réponse, un coup peut être ressenti comme un baiser.
Le suicide est un événement avec lequel on (l’autre) ne peut jamais faire la paix.