Pour offrir l’hospitalité, il faut d’abord être maître chez soi

Dans l’acception la plus courante de l’hospitalité, l’accueillant1 dispose d’un lieu où l’invité peut être accueilli. Il faut qu’il ait la maîtrise de ce lieu, que selon les règles en vigueur dans cette société, à ce moment-là, il en soit légitimement dépositaire. La forme juridique peut varier : locataire, propriétaire, dirigeant local, souverain, vassal d’un souverain, chef traditionnel, leader d’un groupe, membre d’une communauté ou d’une famille, responsable d’une institution ou encore guerrier victorieux, il faut que son pouvoir soit reconnu, certain. Il faut aussi que le lieu soit clairement déterminé, c’est-à-dire doté de frontières elles aussi reconnues – des frontières qui ne sont pas nécessairement spatiales, mais peuvent être politiques, religieuses ou idéologiques. Le lieu peut être territorial mais aussi purement social; il suffit que l’appartenance ou l’adhésion des uns et des autres soit contrôlée. Il faut que le lieu soit borné, limité, réservé à ceux qui y demeurent ou y participent, ce qui suppose une modalité ou une autre de contrôle, de gardiennage. Un lieu qui n’aurait pas été clos, dans lequel aucune souveraineté ne se serait exercée, ne pourrait pas s’ouvrir. Quand un accueillant prétend s’appuyer sur des prérogatives qu’il n’a pas, comme dans L’invitation (Claude Goretta, 1973) ou Viridiana (Luis Bunuel, 1961), l’hospitalité échoue, elle sombre dans la catastrophe et le ridicule. Il n’y a pas d’hospitalité sans pouvoir, et la seule bonne volonté ne suffit pas.

  1. Il semble acceptable, dans ce contexte, d’écrire au masculin, même si l’accueillant est une accueillante. ↩︎

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