L’invitation (Claude Goretta, 1973)

Tu ne peux accueillir les autres que si tu es déjà le maître chez toi.

À la suite du décès de sa mère, un modeste employé de bureau nommé Rémy Placet accepte la proposition de promoteurs immobiliers qui lui proposent d’échanger la petite maison familiale particulièrement bien située en zone urbaine contre une magnifique maison de maître et une certaine somme d’argent. Pour fêter son installation dans son nouveau domicile, il invite ses collègues à une pendaison de crémaillère. Rapidement, la fête dégénère. Un certain Maurice1 multiplie les provocations. Rémy est un homme généreux, plein de bonne volonté, qui désire faire le meilleur accueil à ces gens qu’il considère comme sa seule famille. Mais comme il vient tout juste d’emménager dans la maison, il est lui-même encore une sorte d’invité. Son « chez soi » est fragile, vulnérable. Le pauvre homme, devenu Monsieur Placet, n’est pas tout à fait à sa place. Il s’y trouve par hasard, sans mérite, ni justification, ni même d’héritage. Sa gentillesse ne suffit pas pour lui procurer une légitimité. Pourquoi serait-il, lui, propriétaire de cette maison ? Pourquoi pas les autres ? Il n’y a rien fait, pas même la décoration2, et en outre il ne la gère pas. N’ayant ni femme ni enfant, il n’est pas chef de famille, et d’ailleurs il n’est chef de rien du tout. Pour organiser sa fête, il doit s’appuyer sur un maître d’hôtel nommé Émile, comme l’Émile de Jean-Jacques Rousseau. Émile occupe la place du véritable maître de maison – d’ailleurs c’est lui que Rémy a tendance à appeler « Monsieur », en inversant les situations. Le majordome fixe les règles, décide de ce qu’il faut faire ou pas, insiste pour que tout le monde s’alcoolise, garde le seuil pendant que les invités s’égarent et s’égayent un peu partout. Maurice ne peut se permettre ses provocations que parce que personne ne maintient l’ordre, aucune autorité légitime ne gouverne vraiment. Toutes les limites sont concernées : un voleur s’introduit dans le jardin, une des employées rompt la bienséance en commençant un strip-tease. Rémy ne dit rien et laisse aux invités le soin de hurler : rhabillez-vous! La fille a honte, elle pleure, elle s’en va – c’est elle qui, la première, renonce à l’invitation. Quand Maurice se bagarre avec un autre invité, c’est Rémy qui prend les coups. L’hostilité prend le pas sur l’hospitalité. Rémy s’évanouit, se réveille, et alors seulement, après ce temps d’endormissement, leur demande de s’en aller. Il veut récupérer sa tranquillité, sa solitude, son chez soi. Par cette supplication, il devient a posteriori l’authentique maître de maison. Tout le monde s’en va, l’embrasse, le félicite. Par une dernière marque d’humilité, il demande à Émile de conserver sa position de maître d’hôtel, mais celui-ci refuse. Il aura fallu cette expérience pour qu’il comprenne ce qu’il en est de l’hospitalité : tu ne peux accueillir les autres que si tu es déjà le maître chez toi

  1. À part les jardins, car c’est un homme qui n’aime que les fleurs. ↩︎
Vues : 2

Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *