L’inceste frère/sœur, qui n’est pas sanctionné par la loi, porte à son plus haut degré d’ambivalence la relation trouble entre le désir et son interdit
En France, l’’inceste est défini comme « un rapport sexuel entre personnes qui ont un lien de parenté à un degré interdisant le mariage ». Il concerne les relations entre ascendant / descendant, fratrie (y compris demi-sœur et demi-frère), oncle et tante, neveu et nièce, lien d’alliance, que ces relations soit dites « naturelles » ou résultant d’une adoption. Il n’est pas interdit comme tel, mais seulement considéré comme circonstance aggravante pour d’autres infractions, à deux conditions : que les parties aient atteint l’âge de la maturité sexuelle (15 ans depuis 2021, sauf en cas d’inceste, justement, où elle est fixée à 18 ans), et qu’elles soient tous deux consentantes. On devrait, par conséquent, considérer comme acceptables (si ce n’est normales) les relations sexuelles entre frères et sœurs adultes, puisqu’elles ne constituent pas une infraction spécifique au sens de la loi – mais le regard porté sur ces relations est différent. On les considère le plus souvent comme choquantes, inacceptables, voire inavouables. Le point de vue moral prévaut, dans la vox populi, sur le point de vue légal. Cela rend d’autant plus intéressante l’analyse de ces relations.
Nombreux sont les films qui portent sur ces rapports entre frère et sœur, dits incestueux. Partons d’un film souvent considéré comme un classique, Bunny Lake a disparu (Otto Preminger, 1965). On perçoit que Ann et Steven ont longtemps entretenu une relation quasiment fusionnelle, avec les mêmes habitudes, les mêmes jeux, et peut-être une fille commune, Bunny (dont on ne connaît pas le père). Ann, Américaine, vient rejoindre son frère journaliste en Angleterre pour habiter avec lui. Tout le monde les prend pour un couple – ce qu’ils nient, et pourtant Steven revendique une relation exclusive avec sa sœur. Il va jusqu’à vouloir assassiner Bunny, qui pour lui est un obstacle à leur relation. Face à cela, Ann est ambivalente. Elle aime sa fille, mais n’aurait pas envisagé de rompre d’elle-même avec Steven si celui-ci n’avait pas été atteint par une sorte de délire possessif, convaincu que sa sœur ne le lâcherait jamais, quoi qu’il arrive. Leur relation est plus proche de l’emprise, du délire partagé que de l’amour, elle apparait comme dangereuse, pathologique. L’amour est tout aussi maladif dans Les Diables (Christophe Ruggia, 2001), où Chloé, la sœur autiste, dépend complètement de son frère Joseph pour la vie quotidienne. Pendant longtemps elle refuse d’être touchée, mais quand cette inhibition s’efface, alors leur sensibilité d’adolescents tourne vite à la découverte de l’amour. Refusant toutes les marques extérieures d’amitié ou de bienveillance, ils se réfugient dans une relation duelle close et sans avenir. Là aussi la relation incestueuse tourne au double délire, hétérogène mais indissociable. Ce n’est pas le cas dans Lone Star (John Sayles, 1996), où Pilar et Sam, découvrant qu’ils sont demi-frère et sœur, et parmi les rares non-corrompus de la région, décident en toute connaissance de cause de devenir amants. Ici l’inceste n’est pas la marque d’un dysfonctionnement, mais d’une réparation. Ces deux personnes attirées l’une vers l’autre depuis l’adolescence scellent leur union par le plaisir sexuel. Ils découvrent que les ressemblances qui les rapprochent valent la peine d’être approfondies, et ils assument. Qu’importe se disent-ils, puisque Pilar ne peut plus avoir d’enfant et que, selon eux, la seule objection à la relation incestueuse frère – sœur est la consanguinité. En choisissant d’ignorer leur origine commune, ce couple se dissocie des clivages culturels, sociaux, politiques, des haines qui structurent le fonctionnement de la ville. Alors que les sociétés condamnent l’inceste pour obliger les couples à s’ouvrir vers l’extérieur, ils font l’inverse, ils acceptent la relation incestueuse pour s’ouvrir vers l’hybridité, le mélange des cultures. On rejette généralement l’inceste car il rompt les systèmes d’échange et de réciprocité. Dans ce cas particulier, ce sont les chaînes de solidarité mafieuses qui empêchent le « vivre ensemble ». Refuser d’en faire partie est un geste sain, moral.