Le cinéma, voie privilégiée du spectral

Pour identifier/déconstruire les spectres, je privilégie la voie du cinéma

Ce n’est pas une règle générale, c’est un choix personnel. Je n’ai pas écrit « Il faut privilégier », ce qui aurait été une invitation, une injonction, j’ai écrit « Je privilégie », ce qui ne commande rien à personne sauf à moi. C’est ainsi, en-deçà de tout raisonnement et de tout calcul. Pour mentionner, retenir, détailler, analyser les spectres qui m’affectent, eh bien c’est par le cinéma que ça passe, pas uniquement mais principalement. Si j’ai fait ce choix, ce n’est pas simplement pour mon activité publique, ceux qui veulent bien me lire, c’est aussi pour mon chemin personnel. J’ai l’impression que dans la vie courante, tout ce qui relève du spectral ou de l’inconscient est enterré, banni, les figures les plus intimes sont aussi les plus cryptées, les plus dissimulées, et je serais incapable d’en parler, même si je prenais le chemin de la cure1. L’avantage du cinéma, c’est que les films sont visibles par tous, on peut les partager, en parler et même écrire autour d’eux (un passe-temps très répandu). Le cinéma est un lieu où se produisent, chaque jour, partout dans le monde, une incroyable production de fantômes. Imaginez ces milliers de scénaristes et de réalisateurs/trices qui inventent des pitchs aussi farfelus ou improbables les uns que les autres, qui se creusent la tête pour en fabriquer de nouvelles combinaisons. Les thèmes sont infinis, il y en a toujours d’autres, c’est si vaste et si étendu que inévitablement, certains de leurs spectres résonnent avec les miens.

Prenons un exemple : The Universal Theory, de Timm Kröger (2023). Il a fallu des années pour que ce film soit conçu, inventé. Il y est question d’univers multiples, parallèles, ceux qu’on nomme multivers, avec un scénario qui repose sur le chat de Schrödinger : des personnages à la fois morts et vivants, présents et absents, habitant l’univers connu et un autre, inconnu (même s’il passe par des tunnels à l’obscurité plutôt banale). Cette thématique issue de la physique quantique nous conduit très exactement à la définition du spectre, du spectral. Tout le cinéma n’est-il pas mort-vivant, présent-absent, dans notre univers et en même temps dans un autre ? La démonstration est imparable. Tous les jours, je vis entouré de chats de Schrödinger, et j’en suis peut-être un moi-même. Pour les chasser, les capturer, le champ est vaste : des centaines de milliers, des millions de films.

  1. Il est un peu dommage qu’on emploie ce mot pour l’expérience psychanalytique. Etymologie : Du latin classique cura, « souci, traitement d’une maladie ». Avoir affaire à son inconscient, est-ce une maladie ? ↩︎
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