L’année dernière à Marienbad (Alain Resnais, 1961)
Un événement évanescent, indéterminé, sans témoin crédible ni trace, on peut l’évoquer, en faire un film, un pur film, en multiplier les interprétations
Un événement évanescent, indéterminé, sans témoin crédible ni trace, on peut l’évoquer, en faire un film, un pur film, en multiplier les interprétations
« Je suis mort », dit-il en annulant tout engagement, tout devoir, toute dette, y compris la promesse amoureuse de celle qui voudrait le rejoindre en offrant, elle aussi, « ma mort »
Un réalisateur qui présente une jeune fille comme perverse, calculatrice, manipulatrice, pour mieux la manipuler, l’objectiver, s’en servir.
La position unique d’une jeune fille qui s’évade de tous les conflits, erre entre les pouvoirs sans jamais se laisser instrumentaliser par aucun d’entre eux.
On ne peut poursuivre la quête aporétique, chercher à posséder ce qu’on sait ne pas pouvoir posséder, qu’avec l’appui crypté de la religion.
Amalgamer les ingrédients les plus usuels du cinéma pour forclore toute interprétation rationnelle.
Délivrée du phallique, la sexualité féminine peut se saisir de la chair.
Entre deux gardiens de l’inconditionnel, la rencontre est aussi fatale qu’impossible.
Il aura fallu, pour entendre le secret dont l’autre témoigne, en passer par un « Je suis mort »
L’archi-amour, genre d’amour dont il est impossible de faire son deuil, est plus réel, plus crédible encore que la réalité
En voulant me transformer, je redeviens ce que je suis et son contraire, mon propre pharmakon.
Je suis double mais l’autre en moi, mon jumeau, est déjà mort » – un dédoublement qui ne franchit pas la limite du « deux.
Il est « minuit à Paris » et la différance, insistante, fait craquer les couples.
Il faut choisir librement ce qui, déjà, en secret, habite nos rêves.
Il s’est souvenu d’autres vies et d’autres mondes qu’il a portés; un autre vivant surviendra, peut-être, pour les porter à nouveau.
Quand l’amour se décide, la trace se retire, elle s’efface – il faut plonger dans l’incertitude.
Il faut, pour surmonter sa culpabilité, faire l’expérience de l’impossible.
On ne peut ni s’approprier une signature, ni usurper un nom innocemment.
Rien ne peut arrêter une femme qui veut démontrer l’impuissance masculine;
Au cinéma, il est impossible d’interpréter sa propre mort, mais on peut toujours la jouer.
Une figure de défilement routier fait le lien entre les éléments d’un récit dont la diffraction est irréductible.
« Il faut mourir vivant »dit la photo-reporter, en laissant à d’autres les traces de son parcours, et un film.
S’arrêter sur le pont qui mène au fantasme, au rêve, en passant par la photographie.
À tout ce qu’on voulait faire de moi, j’ai acquiescé, mais on ne peut pas m’empêcher de dire « je ».
Il faut, pour vivre, faire son deuil de l’amour d’avant l’amour, l’archi-amour.
Perpétuer le deuil comme tel, en jouir, c’est le nier : en s’appropriant les morts, on exerce sur eux pouvoir et souveraineté.
Pour un homme, faire jouir une femme est un plaisir sans limite; on peut tout donner pour cela, y compris son sexe, sa vie
Il aura fallu qu’elle soit réduite à la fixité d’un portrait, prise pour morte, pour qu’elle rencontre enfin l’homme pur, intègre : le policier.
Il vaut mieux, pour se dégager du deuil, choisir le pas de côté qui éloigne du réel.
L’innocent qui apparaît dans les fantasmes peut porter tout le poids de la faute, se muer en coupable universel.
Une allégorie de la traduction du monde en film ou du film en monde.
Perdre un monde suppose de renoncer aussi à une part de soi , un quasi-suicide qui conditionne la possibilité de continuer à vivre.
Incapable de demander pardon, de renoncer à la perversion, elle choisit le vide, la déchéance, l’anéantissement.
Il s’agit, sous l’apparence de la transgression, de sauver la distinction tranchée qui oppose le bien au mal.
Une virginité toute autre, d’avant toute virginité.
Il faut, dans ce monde dangereux, apprendre à s’engager, prendre tous les risques.
Comment s’emparer d’une femme, la posséder par son secret, la garder par sa guérison – et surtout dérober son monde.
La paralyse – ce temps de fermentation ou de bouillonnement qui est aussi la khôra du réalisateur.
Une grand-mère pour toujours sur le point de mourir, sans jamais franchir le pas.
Un film sur l’amour : pas l’amour fou, mais l’amour en tant que fantasme, folie.
Un regard dans le film en appelle au-delà du film à un autre regard qui témoigne d’une alliance oto-biographique.
Une auto-hétéro-bio-thanato-graphie féminine où chaque femme semble jouer le rôle d’une autre, jusqu’à l’épuisement.
Il vaut mieux accompagner, porter, l’inarrêtable hybridation du monde.
Un fantasme de flic où les fautes, les crimes et les trahisons se déplacent, se croisent et se neutralisent, sans jamais s’annuler.