Les Diables (Ken Russel, 1971)

Il s’agit, sous l’apparence de la transgression, de sauver la distinction tranchée qui oppose le bien au mal

C’est un film très traditionnel, moralisateur voire réactionnaire, par beaucoup d’aspects. Les femmes sont représentées dans une totale soumission au désir phallique. Toutes désirent un homme et un seul, le même, Urbain Grandier, qui se trouve être à la fois prêtre et dirigeant politique. Cet homme, bien sûr, est un héros, un bon héros hétérosexuel et tolérant, qui n’humilie une jeune femme que parce qu’elle est la fille d’un magistrat méprisable, et se marie par amour avec une autre jeune femme1. Le héros est persécuté par le pouvoir central. Soumis à la torture, il reste digne jusqu’à la fin, et préfère mourir en martyr sur le bûcher plutôt que d’avouer. Il est du côté du bien, tandis que du côté des diables, il y a Richelieu, ses envoyés, les inquisiteurs, et la Mère Jeanne des Anges, la méchante supérieure du couvent qui fantasme le Christ avec la moustache du maître, puis le dénonce comme instrument du démon2. C’est clair, simple, tout le monde peut comprendre. Il n’y a pas d’ambigüité. S’agissant d’un film réalisé par un anglo-saxon, le héros catholique est évidemment un ami des protestants, et ses frasques ne l’empêchent pas de gouverner la ville avec efficacité, sincérité et sans corruption (n’en jetez plus). Le plaisir étant, lui aussi, du côté du bien, on ne peut pas reprocher à Grandier de le rechercher. Quant à Jeanne, elle subit les pires outrages (une terrible punition terrestre). Sous ses aspects scandaleux, transgressifs, le film (devenu un classique) est donc une apologie du bien, dont on peine à comprendre, quelques décennies plus tard, en quoi ses provocations justifiaient le scandale et la censure3. Sans doute les autorités du 20ème siècle se sont-elles identifiées à celles du 17ème siècle. Le public, lui, ne s’y est pas trompé, car il s’est précipité voir le film.

S’il y a de l’ambigüité quelque part, c’est dans le comportement des Ursulines (les religieuses du couvent). Qu’elles soient toutes amoureuses d’Urbain Grandier est parfaitement clair – c’est l’un des axiomes du film. Qu’elles soient toutes hystériques ne surprendra personne. Mais pourquoi se précipitent-elles, nues, dans la foule ? Pourquoi déclenchent-elles une orgie, un chaos ? La frustration sexuelle n’explique pas tout. Peut-être ensorcelées (comme Jeanne des Anges) ou peut-être tout simplement amatrices de plaisir corporel (comme Urbain Grandier), elles sont à la fois du côté du bien et du côté du mal. Entre les massacrer et se servir d’elles, le pouvoir hésite. Il se pourrait que cette ambigüité-là sauve le film.

  1. Il se marie lui-même mais ce n’est pas grave : un mariage d’amour est sacré par nature, il se passe de toute institution. ↩︎
  2. Elle prétend qu’il l’a possédée, ce qui peut être pris dans les deux sens du terme. ↩︎
  3. La Warner a diffusé pendant longtemps une version censurée du film, la version complète n’étant visible que depuis 2011, année du décès du réalisateur.  ↩︎
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Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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