Menashe, ou « Brooklyn Yiddish » (Joshua Z. Weinstein, 2017)

« Dès que je m’efforce de la respecter, la loi défaille »

Dans un quartier juif orthodoxe de Brooklyn vit Menashe Lustig. Il s’agit du véritable Menashe Lustig, « hassid libéral » de 39 ans. Il lui est arrivé (dans la vraie vie) de poster quelques vidéos comiques sur Youtube, et il joue dans le film son propre rôle, sous son propre nom. C’est un hassid croyant mais assez peu porté sur l’étude, qui ne s’habille pas exactement comme tout le monde (il ne porte pas la veste et néglige le chapeau, se limitant à une kippa). Dans sa véritable histoire, Menashe a perdu soudainement sa femme, et ne s’est pas remarié, ce qui est très mal vu chez les hassidim. Il a effectivement un fils (dans le film, le rôle du fils est interprété par une jeune israëlien dont la mère est professeur de yiddish). Le film a été tourné dans son quartier (Borough Park), parfois secrètement et malgré l’hostilité de sa communauté. Il a fallu changer plusieurs fois de lieu, répéter en anglais avant de tourner en yiddish, et quand Menashe a vu le film au festival de Sundance, c’était la première fois qu’il allait au cinéma. 

Dans le film, tout laisse supposer que Menashe n’a pas été très heureux dans son mariage. Son beau-frère l’accuse d’avoir mal soigné sa sœur quand elle est tombée malade à la suite d’une fécondation artificielle. Il rejette les nouvelles épouses que lui présente le rabbin – sans vraiment donner d’explication. Tant qu’il reste veuf non marié, le rabbin a décidé de faire garder son fils Rieven (10 ans) par son beau-frère, beaucoup plus orthodoxe que lui. 

Menashe est distrait, maladroit, il a du mal à se lever le matin. Il s’ennuie dans son travail de commis dans une épicerie, mal payé et plutôt dégradant. Il doit affronter le jugement d’autrui et le manque de soutien de son entourage. Son beau-frère, auquel le rabbin a confié Rieven, le méprise et prétend qu’il est incapable d’élever un enfant. Il a tout juste le droit de passer une semaine avec son fils, avant la cérémonie de commémoration de la mort de son épouse (Jahrzeit). Organisant cette cérémonie chez lui, il essaie de montrer qu’il peut être un bon père, mais tout ce qu’il entreprend pour cela finit par échouer. Double douleur : l’échec lui-même, et la honte de se montrer dans toute sa faiblesse à son fils.

C’est un homme qui respecte la loi. Il critique ceux qui la transgressent, et fait ce qu’il peut pour suivre les règles de la communauté. Mais c’est plus fort que lui. Il en supporte mal les signes extérieurs, et au moment où il se concentre le plus (pendant la prière, l’étude ou la cérémonie pour sa femme), elle semble se briser entre ses doigts. Ce n’est pas de lui que le problème vient, c’est de la loi elle-même, qui semble toujours devenir inopérante au moment crucial.

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Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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