M*A*S*H (Robert Altman, 1970)

Au cœur de la plus phallogo-polémo-centrique des comédies, un homme impuissant ressuscite, en paix avec lui-même, après la Cène

Quand on revoit M.A.S.H.1 quelques décennies après sa sortie triomphale2, surtout après #metoo, on rit beaucoup, mais d’un plaisir gâché par l’évidente dimension machiste du film, affirmée sans réserve, de la façon la plus caricaturale. Les chirurgiens les plus brillants sont évidemment aussi les plus virils – en tout cas les plus séduisants, et dans les scènes de sexe, toutes les femmes espèrent la venue du phallus guérisseur (autre interprétation du Caducée), généreusement octroyé par des mâles qui planent au-dessus de toute hiérarchie. La guerre ne se manifeste qu’indirectement par la livraison permanente (toujours en hélicoptère) de blessés sur lesquels lesdits chirurgiens ont une sorte de pouvoir de vie et de mort. Aussi efficaces qu’insensibles, ils ne perdent jamais le sens de l’humour et manient avec tout autant de dextérité les nuances et les excès de la langue anglaise. Tournant en dérision les moralistes et les croyants, ils surnomment « Hot lips » la dame de l’autre bord prise en délit de jouissance amoureuse, qui se met en colère, finit par se rallier à leur séduction, et devient bien entendu la principale supportrice de leur équipe de foot (qui, évidemment, gagne le match). Avec eux, le terme phallogocentrisme prend tout son sens – car avec intelligence et adresse, ils manient autant le phallus qui le logos, auquel il faut ajouter la dimension guerrière du polemos, car malgré leur antimilitarisme, ils sont des sortes de héros américains. 

Qu’il y ait dans ces conditions, au cœur du film, une magnifique Cène, peut sembler plus difficile à expliquer. Il s’agit d’un dentiste (figure habituelle du l’arracheur-castrateur de dents) incapable de suivre les chirurgiens dans leurs exploits pour cause de défaut d’érection3. Désespéré, l’homme décide de se suicider. Après un repas d’adieu dont la disposition est inspirée de l’Ultima Cena qui orne le réfectoire du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie à Milan4, ils installent l’homme endormi dans un cercueil dont il ressortira bien vivant et réconcilié avec lui-même (on ne nous dit pas s’il est guéri de son impuissance). Que signifie cette scène ? Le machisme est généreux, il veut bien accepter que le crime de chasteté ne soit pas puni de mort. N’imaginez pas que le dentiste puisse nous sauver, nous aussi, ce serait exagéré. Il se sauve lui-même en marquant, comme Hot lips, sa reconnaissance à l’égard des véritables sauveurs. En définitive le film, tourné en pleine guerre du Vietnam, trouve le moyen de glorifier une armée qui, dans les pires conditions, réussit à préserver le désir, le sexe, la joie de vivre, l’humour, et aussi l’un des dispositifs centraux du christianisme : la survie après la mort [il ne s’agit que de la mort sexuelle, mais c’est déjà beaucoup]. La foule des éclopés, des meurtris, des amputés, des traumatisés, n’a plus qu’à entendre la leçon : amusez-vous !

  1. Acronyme des hôpitaux militaires américains en campagne pendant la guerre de Corée : Mobile Army Surgical Hospital. ↩︎
  2. Palme d’or à Cannes, meilleur film aux Golden globes 1971, nomination aux Oscars, déclinaison en série télévisée (1972-83), conservation du film au National Film Registry de la Bibliothèque du Congrès américain pour son « importance culturelle, historique ou esthétique ». Pour un budget de 3M$, il a rapporté 81,6 M$. ↩︎
  3. Selon Quentin Tarantino, c’est la partie la plus faible du film. Le dentiste arracheur de dents est aussi le grand castrateur, à l’égal de Hot lips, les grandes lèvres brûlantes. ↩︎
  4. Léonard de Vinci, 1495-98. ↩︎
Vues : 5

Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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