Faute d’amour (Andreï Zviaguintsev, 2017)

« Puisque je suis déjà mort, je n’ai pas d’autre solution que de disparaître ».

Boris et Zhenia divorcent. Dans leur appartement au confort moyen de la classe moyenne de Saint-Petersbourg (ou de Moscou, ce n’est pas clair), ils se disputent sans cesse et cherchent à vendre leur appartement. Ils préparent déjà leur avenir respectif : Boris est en couple avec une jeune femme qu’il a engrossée, peut-être simplement pour éviter d’avouer son divorce à son patron chrétien orthodoxe ; et Zhenia soigne son physique pour séduire un homme aisé qui semble prêt à l’épouser. Aucun des deux n’a le moindre amour ni le moindre intérêt pour le petit Aliocha, leur fils de 12 ans. Ils ne savent pas quoi en faire, ils se renvoient la balle, ne trouvent pas d’autre solution qu’un internat en attendant qu’il parte à l’armée, et lui, en les entendant, pleure derrière la porte. En un instant il prend sa décision : il descend les escaliers quatre à quatre, et on ne le reverra plus. Devant la défaillance de la police, une association de bénévoles mène de vastes recherches pour le retrouver. Ce sont eux les héros positifs du film. Ils feront tout pour aider le couple défait : battues dans la forêt, visite des hôpitaux, interrogatoires du seul copain d’Aliocha qui leur désigne un lieu perdu dans la forêt, collages d’affichettes. C’est l’échec. On ne retrouvera jamais Aliocha, qui est devenu, pour toujours, un spectre, un mystère.

C’est ce que le petit Aliocha semble s’être dit en son for intérieur, et en toust cas c’est ce qu’il fait. De lui, il ne restera que cette bande flottant au vent (ce cordon rouge et blanc qui, usuellement, cherche à fermer un passage) et des affichettes délavées. Tristesse infinie de ces images auxquelles quelques passants jettent un dernier coup d’oeil. L’appel d’Aliocha ne s’éteindra pas après sa disparition, il restera inentendu, dans la forêt. 

Le couple, donc (Boris et Zhenia), est en perdition, dans une haine et un mépris mutuels sans bornes. D’où vient cette détresse ? Le film donne quelques éléments sur le passé de Zhenia. Ayant été elle-même détestée par sa mère, elle ne peut que détester son enfant, mais au moins elle a une mère. L’amante de Boris a elle aussi une mère, plutôt aimable. Mais qu’en est-il des hommes (qui sont tous des pères, comme s’il n’y avait pas d’autre existence possible que cette transmission mortifère) ? Le film passe leur histoire sous silence. Après tout, ils n’ont pas besoin d’avoir d’histoire, puisqu’ils ne sont que de purs phallus, plus souvent en détumescence qu’en érection. Les hommes sont tout aussi malheureux que les femmes, mais ils ont au moins quelque chose, la possibilité de jouir des efforts des femmes qui cherchent à les séduire, les garder. Mais pour quoi faire ? C’est la mécanique inarrêtable d’un espoir vain. L’enfant, qui ne peut pas vivre dans cet univers, choisit de disparaître, mais les parents ont déjà disparu. 

Aliocha ne disparaît pas pour se suicider, il disparaît parce qu’il est déjà mort. On ne lui a fait aucun cadeau (malgré les jouets qui remplissent sa chambre), il n’a aucun cadeau à faire, pas même son cadavre. Il n’y a jamais eu d’échange, il n’y en aura pas plus demain qu’aujourd’hui. Le dernier merci qu’il profère en partant n’est pas un remerciement, c’est un adieu.

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Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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