Voyage à Yoshino (Naomi Kawase, 2018)
Qu’il est beau ce pharmakon! Qu’elle est belle cette apocalypse!
Voyage à Yoshino (Naomi Kawase, 2018) (Vision)
Qu’il est beau ce pharmakon! Qu’elle est belle cette apocalypse!
Film magnifique esthétiquement, mais intellectuellement plutôt basique, pour ne pas dire pauvre. Cette histoire de plante aux pouvoirs surnaturels, dont le nom est Vision, est le prétexte d’une sorte de parcours dans des grandes notions à majuscule : Amour, Nature, Naissance, Mort, Souffrance, etc. La plante apparaîtrait une fois tous les mille ans et serait capable de « soulager mentalement l’humanité, pour qu’elle aille dans une direction positive » dit Naomi Kawase dans une interview. Dans le film, elle est plus ambivalente. Elle peut aussi apporter le danger, la douleur. Elle est aussi capable d’auto-destruction (comme les humains). C’est un pharmakon, à la fois remède et poison, doublé par un personnage féminin mystérieux, Aki, qui prétend elle-même avoir l’âge de la plante (997 ans). Cette femme, qui prépare d’excellentes tisanes (sans doute elles aussi médicinales) est remplacée dans la suite du film par un jeune homme, Rin, tout aussi ambivalent. Le sourire d’Aki est inquiétant, et son regard est celui d’une aveugle, comme si elle venait en complément de Vision, la plante, dont d’ailleurs on ignore tout, y compris pourquoi elle porte ce nom.
Dans cet autre genre de film apocalyptique où les animaux meurent et la forêt brûle, la chronologie est constamment bousculée. Jeanne se demande si elle est dans le présent, le passé ou le futur. Des éléments cycliques (une scène de tir), anachroniques (des paysans) ou immémoriaux (la nature) se croisent avec la naissance et la mort.
On peut faire le choix d’insister sur les derniers mots du film. « Ah, quelle beauté! » dit Jeanne1, la Française de passage, juste avant l’obscurité qui précède le générique. Plus loin, dans le générique, l’accent mis sur le beau est confirmé par la longue liste des marques de vêtements qui ont soutenu la production. Extrait d’un dépliant touristique : « PASSEZ UNE JOURNÉE À NARA POUR DÉCOUVRIR L’ENDROIT OÙ LES ARTS, L’ARCHITECTURE ET LA RELIGION BOUDDHISTE PRIRENT LEUR ESSOR. Moins connue que sa voisine Kyoto, qui n’est qu’à 42 km, Nara n’a rien à lui envier. La plupart de ses bâtiments sont classés au patrimoine mondial de l’UNESCO et certains de ses 36 temples comptent parmi les plus anciens de l’archipel. Moins urbaine et étendue que Kyoto, on peut visiter Nara en une journée depuis Kyoto en parcourant son immense parc ou en s’éloignant dans sa campagne environnante. Que vous vous y rendiez depuis Kyoto ou Osaka (à 30 km), cela vous prendra moins d’une heure de trajet et vous pourrez être sur place dès l’ouverture des sites, avant les foules ». Et dans Wikipedia : « Selon une légende attachée au sanctuaire Kasuga, la divinité Takemikazuchi, monté sur un cerf Sika blanc ailé, vint prendre position sur le mont Mikasa pour assurer la protection de Heijo-kyo, la capitale impériale nouvellement construite. Depuis lors, les cerfs sont considérés comme des animaux divins, protecteurs de Nara et de tout le Japon. Anciennement, les gens devaient s’incliner sur leur passage, et, jusqu’en 1637, tuer un daim était passible de la peine de mort« . Or on voit, dans le film, la mort d’un cerf.
Tout cela conduit à considérer avec une certaine méfiance l’imagerie New Age du film, qui fait perdre au pharmakon sa dimension critique. La pente dangereuse du dépliant touristique le charge d’une esthétique à la fois lourde et plaisante, splendide et ridicule, banale et tragique, sans parler de la soupe métaphysique, passablement fade. On peut rire de ce film, s’en moquer; on peut aussi prendre acte de ce que donne l’esthétisation du pharmakon.
- Interprétée par Juliette Binoche. ↩︎