« Je suis mort » – Adresse à Jack Y. Deel
Tu nous as enseigné qu’on ne vivait que la mort des autres. Le vécu de sa mort, sa propre mort, est inaccessible, car il faudrait être vivant au moment où l’on est déjà mort, ce qui est insoutenable. Et pourtant tu as été fasciné, comme moi, par cette phrase : « Je suis mort »1, une phrase qui nous touche plus que d’autres expressions paradoxales comme : « Je mens », car par son contenu, son sens, elle invite à une expérience ultime. Dire « Je mens » est une sorte de jeu, une auto-accusation qui ne manque pas de crédibilité, mais dire « Je suis mort » ne prétend pas à la crédibilité, c’est une provocation d’un autre type. À la rigueur « Je meurs » est possible, mais pas « Je suis mort ». Cette phrase devrait être interdite ou impossible à dire, et pourtant rien ne m’empêche de la proférer, de la ressentir, de l’expérimenter, de la vivre. Je la sais fausse, je sais que je mens, mais je sais aussi qu’il y a quelque chose de vrai dans cette phrase, et je crois que toute ton œuvre, depuis le premier jour, s’écrit sous l’égide de cette phrase.
- Par exemple dans Points de suspension, p29. ↩︎