Autobiocinématographie transformatrice

Tu te sers du cinéma pour transformer ta vie, produire par un film la fiction réelle de ton auto-bio-cinémato-graphie

Raconter sa vie ou quelques éléments, quelques passages ou quelques traits singuliers de sa vie, c’est ce qu’on appelle une autobiographie. Ça existe, il y a des films autobiographiques. Mais il arrive aussi que les cinéastes, les acteurs et d’autres contributeurs à la chaîne de fabrication fassent passer à travers le film, dans son contenu même, la fiction, l’image, la photographie, les dialogues, ou encore les vêtements, les maquillages, les couleurs, les décors, quelque chose d’eux-mêmes. Ils ne le contrôlent pas vraiment, ils le ressentent mais ignorent en quoi cela se rapporte à eux-mêmes, c’est une forme de représentation oblique, insue, dans la matière même du film. On ne saura pas de qui ça vient, comment et pourquoi, mais c’est là, ce que j’appelle autobiocinématographie (avec ou sans traits d’union), une opération où le bio et le cinémato finissent par s’intriquer si étroitement qu’on ne les distingue plus, on ne sait plus qui est quoi.

Dans Je tu il elle (1974), en jouant elle-même dans le film, Chantal Akerman fait croire à l’autobiographie, mais c’est un leurre. Julie, le personnage qu’elle incarne, ce n’est pas elle, c’est une figure abstraite de ce qu’elle a à dire, non pas de ce qu’elle est elle, mais de la pensée où elle en est arrivée. Si elle raconte indirectement un épisode de sa vie, ce n’est pas pour l’épisode lui-même, c’est pour son exhaustion dans l’abstraction du récit. Il faut qu’elle en passe par ces quatre pronoms personnels pour qu’elle tire parti de son expérience en allant de l’avant. Si, à la fin du film, elle ne revient pas au début (Et je suis partie) par la parole, mais par une marche effective, c’est parce que l’autobiographie a été emportée, effacée, anéantie par la fiction. Il reste, dans ce creux, l’acte autobiocinématographique.

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