Confiance, insu

En-deçà du savoir, de la connaissance, il faut faire avec l’autre source de confiance (pas moins puissante) : l’insu

Que dit-on lorsqu’on utilise l’expression « à mon insu », « à ton insu », « à notre insu » ? On parle d’un inconnu, une chose qui n’est pas sue, mais pourtant agit. À mon insu, ça opère, ça marche, ça influe sur moi, sans que j’en connaisse les mécanismes ni les causes. Alors que l’inconscient est déterminé par certaines pulsions ou compulsions en partie décrites par Freud, l’insu dépasse, déborde les mécanismes connus ou connaissables. Il n’est pas la somme de ce qu’on ne connait pas, il est le point de départ, le commencement de ce qui s’exprime en moi ou ailleurs « à mon insu », c’est-à-dire sans que je puisse en dire quoi que ce soit de construit. Il faut, par essence, abandonner tout espoir de description frontale de ce qu’il « est » (pour autant qu’on puisse lui attribuer la dimension de l’« être »), et l’évoquer ou l’invoquer indirectement, par l’expérience, quelle que soit cette expérience, et ici, bien entendu, je parle de l’expérience d’un film.

Choisissons par exemple Possession, d’Andrzej Żuławski (1981). C’est l’histoire d’un couple qui se déchire sans qu’aucun d’eux ne sache pourquoi. Anna ne cesse de le répéter : Je ne sais pas !, mais il faut qu’elle parte. Il ne faut pas avoir peur ajoute-t-elle, il faut accepter, acquiescer. L’insu ne repose sur aucun raisonnement : il s’impose, il se doit, et la dette ne sera jamais compensée. Une force issue pousse à des actes inconsidérés, auto-destructeurs. C’est un démon, un monstre, et aussi une dimension incoercible de la foi. Avec lui, la peur et la haine n’excluent pas la confiance. L’insu ordonne, commande, il exprime une prière à laquelle on ne peut que répondre. On en trouve une autre dimension dans Valeur sentimentale de Joaquim Trier (2025). Gustav (le père) et Nora (la fille) ne se sont presque pas vus, presque pas rencontrés pendant des décennies. On pourrait croire qu’ils sont des étrangers l’un à l’autre, qu’ils ne se connaissent pas, mais c’est l’inverse. Dans un script qu’il a rédigé pour son dernier film, Gustav a trouvé les mots qui disent exactement le vécu de Nora. Quelque chose est passé entre eux à leur insu à distance, dans l’éloignement, et ce quelque chose se révèle plus fort, plus puissant, plus présent que toute parole, que tout échange verbal. Au moment de l’épuisement d’un cycle, de la vente de la maison familiale, ce qui était ignoré peut s’incarner dans une œuvre.

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