Deuil, identification

Il faut, pour « faire son deuil », s’identifier au mort, avant de porter son souvenir dans un autre monde

On ne sait pas ce que signifie « faire son deuil », le réussir ou pas, l’assumer ou pas, le ressentir ou pas, le vivre ou pas, le deuil est toujours ambigu, obligatoire et facultatif, instable et impossible, c’est un sujet sur lequel il vaut mieux éviter tout jugement, tout qualificatif qui ne serait qu’accolé sur un événement et ses suites, une opinion proférée de loin, de l’extérieur, en après-coup, aussi risquée qu’indémontrable. Restons-en à l’observation ou tout au moins un aspect de l’observation, cette tendance à combler le lieu vide du mort, son absence, par sa propre présence, qu’on nomme cela identification, incorporation ou introjection, que cela passe par le choix d’un trait plus ou moins spectral de celui qui fut vivant ou par une sorte de lâcher-prise qui nous fait mettre à la place du cadavre dans un moment de dépression ou de mélancolie. Pour s’identifier au mort, tous les moyens sont possibles, et aussi toutes les transitions, tous les compromis, tous les passages. En voici donc quelques-uns. 

Dans Fotogenico (Marcia Romano et Benoît Sabatier, 2024), Raoul vient à Marseille parcourir les lieux où sa fille Agnès est morte un an plus tôt. Dès son arrivée, à sa grande surprise, on lui fait écouter un disque de hard rock où sa fille est chanteuse. Il est comme attiré, absorbé par la voix, seule façon pour lui de sentir la présence de sa fille, et décide de rencontrer les autres membres du groupe nommé, justement, Fotogenico. Il faut qu’il entende ce qu’elle a entendu, qu’il voie ce qu’elle a vu, qu’il expérimente ce qu’elle a expérimenté, ce qui le conduit à se droguer y compris par overdose dans les lieux mêmes où elle l’a fait, jusqu’à risquer d’en mourir lui-même. L’identification est impressionnante, emblématique de tout ce qui peut arriver en cas de deuil, de l’incorporation (ou l’introjection d’un trait particulier de la personne aimée – en l’occurrence la voix) à la transformation mimétique en cadavre (mélancolie). Pour se sortir de là, il faut que le groupe organise une performance qui démontre, par l’expérience, à quel point il n’est pas Agnès.

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