Par des extériorités factices, on peut masquer le repli sur soi, la réclusion dans un monde circulaire, fermé
La notion d' »extériorité » est difficile à appréhender. D’un côté, il ne suffit pas de franchir la porte ou la frontière pour se trouver dehors, à l’extérieur. Ce n’est pas une question spatiale ou géographique, on peut voyager partout, à l’étranger comme on dit, visiter toutes les villes du monde sur la base des programmes les plus élaborés, touristiques ou pas, tout en restant chez soi, tout en continuant à parader dans le même monde, le même univers balisé. Et d’un autre côté ce n’est pas parce qu’on est resté chez soi, à son domicile, qu’on n’est pas assailli par des difficultés, des chocs ou des traumas venus de l’extérieur, ce n’est pas parce qu’on n’a pas quitté sa chambre que les protections dont on croyait s’être entouré ne sont pas brisées. Une des particularités de l’extériorité, c’est qu’elle n’arrive pas là où on l’attend.
Dans Le Grand Tour (Miguel Gomes, 2024), Edward fuit le mariage en parcourant l’Asie. Sa fuite est présentée comme improvisée, une suite de hasards et de rencontres, mais le résultat ressemble fort à l’Asian Grand Tour proposé aux touristes britanniques du début du 20ème siècle : départ d’Inde ou de Birmanie, passage par la Thaïlande, le Vietnam ou les Philippines, arrivée en Chine ou au Japon. Ce film très spectaculaire ne montre presque rien de ces pays, mais seulement des extraits d’attractions, foraines ou pas, des scènes « pittoresques » qui pourraient avoir été tournées par n’importe quel touriste, d’aujourd’hui ou d’hier. En cherchant à le rattraper, Molly passe par les mêmes lieux, qui mettent en valeur un exotisme ou un orientalisme surannés. Le film est séduisant, mais typiquement occidental; il donne l’illusion d’un voyage à l’étranger, mais il habite toujours les mêmes représentations. En réalité Edward et Molly font du surplace, et finissent par se figer dans l’immobilité.