Seul le cinéma peut dire, en tant qu’art : « Je suis mort »
Le cinéma est à la fois mort et vivant, c’est sa particularité. Un livre, un tableau ou une photographie ne disent rien, ils sont muets. Pour sortir de ce mutisme, ils doivent passer par le corps vivant d’un regardeur, d’un lecteur, d’un interprète, mais un film, ça bouge, ça parle. Bien sûr ce mouvement est spectral, cette parole est enregistrée, mais cela ne l’empêche pas d’exister, à la façon du film L’invention de Morel (Claude-Jean Bonnardot, 1967), qui peut dire en même temps (comme tout film) « Je suis mort » et « Je suis vivant » (car il faut être vivant pour dire « Je suis mort »). La preuve, c’est qu’on le croit. Un film est source de croyance car d’un côté c’est un objet, et d’un autre côté, par essence, il transmet le mouvement de la vie. Quand il prononce la phrase paradoxale et absurde,, « Je suis mort », il dit la vérité. Et si à l’intérieur même d’un film, on trouve cette profération ou une autre analogue (par exemple si un personnage évoque « ma mort »), cela signifie que le « je suis mort », dédoublé, est mis en abyme, et alors, selon moi, la fascination est elle aussi redoublée.