Métamorphoses de la puissance phallique

Devant l’étonnante aptitude de la puissance phallique à se métamorphoser, on ne peut que s’incliner, l’imiter ou la contourner

Il est devenu commun de condamner la domination du patriarcat. Il est à la source de bien des maux (de ce monde, et aussi de la plupart de ceux qui l’ont précédé) : égoïsme, compétition, violences (économiques, physiques, sexuelles), surexploitation des ressources, inégalités, discriminations, etc… Mais le patriarcat lui-même, d’où vient-il ? Il est la conséquence de la domination masculine. Les hommes sont plus grands, plus forts, mais ce n’est pas leur unique force, le principal instrument de leur pouvoir. La puissance phallique déborde la pure confrontation des forces. Elle est à la fois archaïque, inconsciente, symbolique, corporelle, psychologique, cognitive (le logos), ancrée dans le désir et la différence sexuelle, exhibitionniste et cachée, triomphante et honteuse. C’est une puissance qui habite (au moins partiellement) les autres puissances, une source de vie qui peut devenir, à tout instant, mortifère. Plastique, adaptable, elle s’incarne dans de nombreux objets rares ou quotidiens, avouant la forme du phallus ou se moulant dans toute autre forme qui pourrait, dans telle ou telle circonstance, porter ou soutenir cette puissance. Elle peut être portée par une femme comme dans Basic Instinct(Paul Verhoeven, 1991), un philtre magique comme dans Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, un coq comme dans S’en fout la mort (Claire Denis, 1990), l’alcool (Drunk, Thomas Vinterberg, 2020), etc… On croira s’en débarrasser, elle se métamorphosera et reviendra.

Dans le film de Pedro Martín-Calero, Les Maudites (2024), la puissance phallique prend l’aspect d’un spectre ambigu, visible-invisible, un vieil homme chauve qui ne se montre que sur un écran ou dans une pièce vide, propice au meurtre. À une exception près, dans un moment ultime (le sacrifice d’un garçon), ce quasi-phallus ne peut être vu que par des femmes. Elles sont terrorisées, mais reviennent vers lui; elles vivent une expérience parallèle mais distincte, elles entendent le même gémissement (titre d’origine du film, El Llanto), elles doivent composer avec la même attirance coupable, elles subissent la même malédiction (titre français du film), sans pouvoir y apposer un nom. C’est nous qui, jouant sur le paradoxe, engageant notre responsabilité, appelons cela puissance phallique.

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