Ce monde est fini, mais peut-être surgira de l’extérieur du nouveau qu’il faudra porter
Je suis dans ce monde, j’en fais partie, et pourtant je n’ai pas l’impression qu’il soit pour moi un véritable monde – comme si je n’étais qu’un élément périphérique, étranger. Je ne parle pas de mes désaccords idéologiques ou politiques qui prouveraient qu’au contraire je fais encore partie de ce monde, je parle d’une sensation, d’une évidence vécue. Je suis bien vivant, au quotidien je subsiste ici avec tout ce que ça implique, boire, manger, dormir et travailler, si je disais le contraire, je mentirais – mais il y a ce sentiment que j’y vis sans y vivre, à une autre place que la mienne. Les attaches et engagements qui me restent sont indispensables, mais ils sont si ténus, si fragiles et menacés, que d’un moment à l’autre je pourrais basculer dans l’univers du sans-monde, là où le fait d’être un humain, une personne, n’aurait plus aucun sens. Ceci étant dit je parle encore, j’écris, ce qui témoigne d’un restant de vie et d’espoir qui ne tient pas à la croyance que ce monde puisse se réformer lui-même, ça je ne l’imagine même pas, mais à l’éventualité que quelque chose vienne d’ailleurs, de l’extérieur, pour le transformer. Si une telle chose arrivait, eh bien je ferais tout pour la soutenir, la porter.
Dans Myth of Man, le film de Jamin Wimans (2025), le désespoir d’Ella est si absolu qu’elle se rend d’elle-même au dernier lieu qui fonctionne encore, la chaise électrique. Elle sait que son compagnon Seeg est là pour la porter, mais où ? On l’ignore, et l’important n’est pas là, ce n’est pas la destination qui compte, c’est le fait qu’il la porte. À quoi bon porter quelqu’un s’il ne reste pas quelque part un lieu où la porter ? Dans la fiction, la mort n’a pas grand sens, et le fait qu’il se dirige n’importe où, dans la rue, montre qu’il est ouvert à tout développement. On peut songer à l’image récurrente du film, dans laquelle un personnage lumineux arrive sur terre et d’un coup de balai ou de batte de golf (ou de base-ball) donne substance à un univers supposé, ensuite, fonctionner de lui-même. Je voudrais attirer l’attention sur le fait que ce personnage ne s’en va pas complètement, il revient pour déposer l’enfant perdu en-dehors de ce monde-ci, jugé impropre ou inapproprié. Si ce Créateur est revenu une fois, peut-être peut-il revenir une deuxième, une troisième fois, et se brancher sur l’extérieur (un extérieur pour nous absolument inconnu) pour susciter l’événement qui fera de ce monde un autre monde.