Sans savoir où elle conduira, je soutiens l’hybridation du monde
On a vécu longtemps dans l’illusion que des frontières existaient entre les catégories, les espèces, les personnes, les institutions, etc.. C’était une illusion idéologique, ou discursive, ou linguistique, etc, ou tout cela à la fois. En réalité ces mondes ont toujours été mélangés, hybridés, mais nous ne voulions pas le savoir. On s’appuyait sur quelques oppositions apparemment évidentes en sous-estimant leur fragilité, leur plasticité. Avec les temps modernes et l’anthropocène, la domination d’une humanité qui se croyait séparée du reste, l’hybridation est apparue comme une menace dangereuse, brutale. Il aura fallu la crise actuelle pour changer le regard. Nous comprenons maintenant que, sans hybridation, il n’y aura pas de survie. Dans Le règne animal (Thomas Cailley, 2023), François choisit d’accompagner son fils Emile plutôt que de combattre une métamorphose inéluctable. C’est douloureux, angoissant, mais il n’y a pas d’autre choix. Pepe, l’hippopotame de Nelson Carlo de los Santos Arias (2024) ne dit pas autre chose. Il est resté, dans le cours de sa vie, rivé à ses contraintes biologiques, ses instincts, mais au-delà de sa mort un événement arrive : son spectre parle les langages humains, il s’interroge sur ce qui lui est arrivé. Les humains ont voulu s’en servir, mais finalement c’est lui qui s’adresse à nous, les spectateurs, c’est lui qui nous incite à faire un pas dans sa direction, à partager son parcours. On ne sait pas ce qui pourra en résulter. Il n’y aura pas de chimère mais peut-être un mouvement de retrait, qui sait ? On ne sait jamais à l’avance à quoi conduit l’hybridation.