Compulsion (Richard Fleischer, 1959)
La pure souveraineté du mal radical, sans justification ni explication, face à la pure souveraineté du rejet de la peine de mort
Dans ce film sur « Le génie du mal » (traduction française assez contestable du titre anglais Compulsion), les criminels, nommés Judd Steiner et Artie Strauss, se croient très intelligents mais font preuve d’une bêtise incroyable. La question de la décision souveraine revient trois fois :
- dans la discussion avec le professeur de droit au début du film. Le professeur dit que les grands législateurs respectent la législation qu’ils ont eux-mêmes mis en place, ce que conteste Judd (c’est Judd qui a raison : on ne peut à la fois décider et se soumettre à la décision);
- dans la décision de tuer prise par Artie et Judd : c’est une décision souveraine, sans aucune raison ni justification;
- dans le refus de la peine de mort exprimé par l’avocat joué par Orson Welles : c’est un refus inconditionnel, sans raison ni justification, un refus de principe.
Les criminels n’ont aucune excuse, ils sont riches, intelligents et même beaux. Leur crime est un « pur » crime qu’aucun besoin financier, aucune justification sociale ou psychologique ne motive. Ces « purs » criminels sont mus par un pur désir de faire le mal, faire le mal comme tel, pour rien d’autre que le mal. C’est la définition du mal radical. Toutefois ces gens-là ne peuvent pas agir totalement sans raison, il faut que leur décision repose sur un souci de démonstration. Ils veulent montrer qu’on peut commettre un acte de pur intellect, sans aucune émotion. Ce désir de démonstration relativise l’absence d’affect. S’ils allaient au bout du mal radical, ils ne justifieraient rien.
Le film commence par un cours de droit où le professeur explique que les grands législateurs (Moïse, Péricles, etc…) se sont soumis eux-mêmes au droit qu’ils ont instauré. C’est évidemment faux, comme le fait remarquer Judd. Les grands législateurs sont dans la même situation que les grands criminels : une souveraineté absolue, « exceptionnelle », qui les dégage de toute obligation, y compris à l’égard de leur propre législation. Dans le film même, on explique que l’essence du mal radical n’est pas différente de l’instauration du droit, une thèse que Carl Schmitt n’aurait pas contestée. Le refus de la peine de mort personnifié dans le film par Orson Welles entre dans la même logique : il n’est pas justifié ni justifiable, c’est un pur principe. Il en résulte une thèse très freudienne, mais éloignée de la morale : la source du bien est aussi la source du mal. On ne peut pas les dissocier. Judd et Artie se veulent législateurs – ils échouent, car ils ne réussissent pas à convaincre. Leur action est purement individuelle, ils ne seront jamais des législateurs1. Il reste qu’ils reçoivent la pire punition : prison à perpétuité. Ils ne cesseront jamais de penser, ils devront pour toujours réfléchir, et réfléchir encore, à ce qu’ils ont fait.
- Ce qui n’exclut pas que des législateurs puissent agir comme eux. ↩︎