El Conde (Pablo Larrain, 2023)

Le spectre de Pinochet, qui incarne l’éternel retour du mal, continue à nous vampiriser

Augusto Pinochet est mort en 2006, à l’âge de 91 ans. Conformément à ses dernières volontés, il a été incinéré, et pourtant 50 ans après le 11 septembre 1973, nous vivons toujours avec son spectre, nous sommes toujours comptables de son héritage. Une femme nommée Carmen1, qui se présente comme expert-comptable mais qui, en réalité, est une nonne, arrive de l’extérieur – apparemment de France, le pays dont proviennent les ancêtres de Pinochet – à la demande des cinq enfants du dictateur, qui sont aussi cyniques que lui, disent l’aimer (ce qui est peut-être vrai), mais n’ont ni son pouvoir, ni son talent. Carmen regarde de près les factures. Est-ce qu’on peut récupérer quelque chose de sa fortune ? Elle se plonge dans les papiers et trouve quelques documents intéressants, mais la tâche est impossible. Sa collecte n’est pas suffisante pour conclure définitivement – et en plus, elle n’est pas vraiment décidée à aller jusqu’au bout. Elle a d’autres projets, par exemple exorciser le vieillard, toujours vivant2, récupérer sa fortune pour l’église 3, mais c’est elle qui tombe sous son influence et finit par être vampirisée. La voici qui, comme Pinochet, entre en lévitation, mais cette ascension ne la rapproche pas de Dieu, au contraire, c’est un moyen de repérer les victimes pour sucer le sang des chiliens. La belle Carmen n’est pas la seule à être retournée. Tous ceux qui approchent Pinochet sont contaminés. Ceux qui le croient affaibli sont bernés, et ceux qui l’admirent et prétendent l’égaler, comme son assistant le fidèle Fyodor, sont neutralisés. À ce jeu, c’est toujours Pinochet qui gagne. Il n’a pas à corrompre les autres, puisque sa corruption était déjà là, à l’avance, dans tous ceux qui se présentent comme ses associés ou ses victimes. Sa capacité à dissimuler et mentir sur tous les sujets, y compris sur sa faiblesse et sa propre mort, est inentamable, et sa malfaisance n’a pas de limite. 

« Pinochet n’ayant jamais été jugé, son impunité le rend éternel » explique Pablo Larrain4. Ce défaut de justice entretient la division du Chili et le risque de dictature. Le Pinochet du film, âgé de 250 ans, conserve les reliques de ses maîtres : le chapeau de Napoléon, la tête de Marie-Antoinette. Il a la possibilité de se réincarner en choisissant d’autres géniteurs, par exemple Margaret Thatcher5, une autre vampire qui possède le même pouvoir que lui6. Il y aura toujours d’autres Pinochet, d’autres Thatcher, on ne s’en débarrassera pas.

  1. Interprétée par Paula Luchsinger. ↩︎
  2. Interprété par l’acteur chilien Jaime Vadell. ↩︎
  3. En principe, le clergé est chargé de faire le compte du bien et du mal – mais son travail s’arrête là où ses intérêts commencent. ↩︎
  4. Contrairement à ce qui a eu lieu en Argentine, avec le procès de la junte en 1985, peu après le retour à la démocratie (1983), il n’y a jamais eu, au Chili de procès de la dictature. Cf le film de Santiago Mitre, Argentina 1985, sorti en 2022. ↩︎
  5. L’histoire du dictateur immortel est racontée en voix off, an anglais d’Angleterre, par la voix de Margaret Thatcher. ↩︎
  6. Elle a été première ministre entre 1979 et 1990, à l’époque où il gouvernait (1973-1990). ↩︎
Vues : 9

Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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