Pour faire événement, il faut qu’une rencontre ait été absolument imprévue, imprévisible, incalculable
Ce type de rencontre, on peut l’imaginer, on peut en donner une définition (imparfaite), mais pour la voir, la raconter, on peut difficilement se passer du cinéma, car comment y aurait-on accès ? Un réalisateur peut l’inventer, la représenter dans toute sa pureté. Choisissons, pour commencer, le cas de Bas Devos dans Here (2023). Entre Stefan et Shuxiu, on se demande ce qui peut être commun. Leur propension à flâner peut-être, leur indécision, leur bilinguisme, leur attention au monde, aux détails, au présent (à la présence du présent), à l’autre. C’est imprécis, irréductible au social ou au culturel (le métier, la classe sociale, l’héritage), mais c’est irrésistible, irrépressible, ça ne renvoie à aucune dénomination précise, reconnue (par exemple l’amour), mais ça arrive. On emploie ce mot, rencontre, sans savoir exactement ce que c’est. Quelque chose d’analogue arrive dans Bird People (Pascale Ferran, 2014). Entre Audrey, femme de ménage à l’hôtel Hilton de Roissy, et Gary, ingénieur américain de passage, il n’y a guère qu’un point commun, l’ouverture soudaine d’un possible. L’une travaille à cet endroit comme elle travaillerait n’importe où, elle peut s’envoler à tout instant, tandis que l’autre vient de rompre avec son passé, son travail, sa famille, son pays. Le moment de la rencontre est celui d’un écart, d’un vide où ce qui semblait impossible quelques instants auparavant peut se concrétiser : laisser tomber tous ses engagements ou devenir oiseau. Ils ne peuvent se rencontrer qu’en ce lieu, aussi indécis et incertain pour l’un que pour l’autre, une rencontre qui dure le temps d’une phrase, d’un regard, et s’évanouit avec le reste. On trouve des situations analogues dans La La Land (Damien Chazelle, 2016), Corps et âme (Ildiko Enyedi, 2017), Pont des Arts (Eugene Green, 2004), Compartiment n°6 (Juho Kuosmanen, 2021) ou Cléo de cinq à sept (Agnès Varda, 1960). Ce sont des rencontres qui ne durent pas, qui ne s’inscrivent jamais dans une réalité sociale ou familiale, mais qui transforment. Une fois vécue, traversée cette situation, on n’est plus sur le même chemin. La rencontre renouvelle, elle fabrique du nouveau, tout en laissant ouverte l’indétermination.
Si la rencontre est imprévue, imprévisible, incalculable, elle est aussi dangereuse. Jeanne en fait l’expérience dans le film de Chantal Akerman Jeanne Dielman, 183 rue du Commerce, 1080 Bruxelles (1975). Le désir surgit dans son corps de la manière la plus intrusive, inattendue, insupportable. C’est un événement, un vrai, mais contrairement à d’autres, il n’est pas porteur de bénédiction, au contraire. Pour l’effacer, elle commet un acte qui détruit toutes ses protections. Elle aurait préféré que son rituel se poursuive encore plus longtemps, encore plus strict, mais il a craqué de lui-même.