Love Lies Bleeding (Rose Glass, 2023)

Où la lesbienne enfle, enfle, et d’érection en érection, se dresse comme un phallus, éjacule fantasmatiquement et s’endort

Ce film réalisé par une femme est, comme on dit, un film de genre, c’est-à-dire qu’il est assez prévisible dans son contenu : thriller sexy, film d’horreur, film de vengeance, de meurtre accidentel, film familial, drame romantique, film de dénonciation d’un pouvoir mafieux par sa propre fille, néonoir, etc, et surtout qu’il accumule les stéréotypes. Aucun des personnages n’a de réelle épaisseur, ce ne sont que des clichés renvoyant à l’ambiance dominante aux Etats-Unis en 1989, après huit ans de présidence reaganienne : 

  • Lou Sr le père mafieux de seconde zone1, corrompu, corrupteur et manipulateur, avec sa coiffure ridicule, son stand de tir et sa salle de sport, 
  • Lou2 la fille révoltée mais incapable de quitter son petit coin d’Amérique profonde3, qui prétend avoir rompu avec son père mais continue à travailler dans l’un de ses établissements, 
  • Jackie4 la fugueuse rejetée par sa mère adoptive, qui compense sa solitude par un engagement total dans une compétition de bodybuilding qui doit avoir lieu la semaine suivante, à Las Vegas.
  • Beth, la soeur de Lou sous l’emprise d’un mari violent, qu’elle dit aimer malgré les coups,
  • JJ, le mari brutal, aussi corrompu que le père et qui finira assassiné par Jackie,
  • Daisy, personnage secondaire, jeune femme paumée, vulnérable, calculatrice et menaçante, qui finira visée par Jackie et achevée par Lou. 

Ce ne sont pas de vraies personnes, ce sont des pions à déplacer sur une piste de jeu, des marionnettes, dans une histoire qui raconte la fuite en avant de deux jeunes femmes, Lou et Jackie, prises dans une série brutale d’événements qui les dépassent. Elles avancent ensemble, ne contrôlant rien, vouées à l’ambigüité et la tragédie : le meurtre de JJ qui a défiguré Beth (par Jackie, qui d’un coup lui écrase le visage), le meurtre de Daisy, témoin gênant (finalisé par Lou, qui l’étrangle), la neutralisation d’un policier (par Lou), et enfin l’élimination de Lou Sr (par Lou, qui se débarrasse de son père en le livrant à la police). Le film peut sembler féministe, mais il enferme les femmes dans un monde qu’elles n’ont pas choisi, dont elles adoptent les codes, les rites, les méthodes et l’extrême violence. Il n’y a pas de sortie, aucun moyen de se dégager du virilisme ambiant. Entre Lou et son père Lou Sr coexistent une sorte de pacte criminel et une haine, un mépris réciproque. Arrivée de l’extérieur, Jackie entre doublement dans ce pacte : en faisant l’amour avec le gendre JJ, lui aussi partie prenante, qui lui procure un emploi dans le stand de tir; en acceptant l’usage de stéroïdes illégaux5 que Lou lui propose. Ces stéroïdes dits anabolisants, qui sont des dérivés de la testostérone, opèrent comme une sorte de Viagra féminin, qui font d’elle un substitut ou un double du père, Lou Sr. Sans le dire mais le sachant au moins à demi, tous sont imprégnés des crimes de cet homme qui a probablement tué la mère de Lou et Beth, disparue 12 ans auparavant. Les restes de ces meurtres gisent dans les mémoires et aussi au fond d’un ravin où Lou précipitera elle aussi le cadavre de JJ.

On peut dans ce contexte s’interroger sur l’attirance lesbienne entre Lou et Jackie. Selon Freud, la femme qui n’a pas le phallus, peut être tentée de l’être. On explique ainsi sa tendance à se maquiller, à s’exhiber, à se vêtir de fétiches. Dès son arrivée, grâce à son entraînement et aux stéroïdes, Jackie se transforme en phallus vivant, incontrôlable. Pour se rassurer dans ce monde de mâles, il faut à Lou une partenaire puissante, musclée, capable de s’élargir, d’enfler, d’éclater. Le film ne cesse de montrer ce processus dans les postures physiques de Jackie et dans son comportement. Ses muscles gonflés font crisser la peau – comme si une bête effrayante était sur le point d’en surgir. Elle s’agrandit soudainement lors des meurtres ou des confrontations avec les hommes, et même son vomissement, pendant la compétition de bodybuilding, ressemble à une éjaculation. Femme et homme à la fois, elle donne naissance à Lou, et celle-ci transforme les cadavres qui jalonnent leur parcours en bébés enveloppés dans des sortes de tapis-couvertures. À la fin du film Jackie s’endort, comme un homme après la jouissance sexuelle, tandis que Lou fume une dernière cigarette. Le film ressemble à un coït disproportionné entre les deux jeunes femmes, après élimination des deux concurrents redoutables dans le virilisme, Lou Sr et JJ. Comme il est dit dans le titre, les mensonges de l’amour répandent le sang. Remplacer un phallocentrisme par un autre n’est finalement qu’une modalité de la répétition, qui conduit à l’impasse désespérée sur une route du Nouveau-Mexique6

  1. Interprété par Ed Harris. ↩︎
  2. Interprétée par Kristen Stewart, icône féministe et rebelle qui a annoncé officiellement son homosexualité. ↩︎
  3. Le film a été tourné à Albuquerque, Nouveau Mexique, par cette réalisatrice anglaise. ↩︎
  4. Interprétée par Katy O’Brian. ↩︎
  5. La vente et aussi l’usage de stéroïdes anabolisants sont interdits en France. Leurs effets sont masculinisants. Ils augmentent la masse musculaire et aussi la pilosité chez les femmes, diminuent le volume des seins, font chuter les cheveux, perturbent le cycle menstruel et modifient le timbre de la voix. Ils peuvent aussi provoquer des hallucinations, ce qui arrive à Jackie. ↩︎
  6. Thelma et Louise, dans le film de Ridley Scott (1991), en tirent les conséquences logiques : le suicide. ↩︎
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Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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