Memories of Murder (Bong Joon-ho, 2003)

Trouver le coupable, c’est impossible, mais ne pas trouver de coupable, c’est intenable, insupportable

L’histoire de Memories of Murder est inspirée d’événements qui ont eu lieu entre 1986 et 1991. Un tueur en série a violé et assassiné dix femmes, dans un rayon de deux kilomètres autour de la ville sud-coréenne de Hwaseong (province de Gyeonggi). La victime la plus âgée avait soixante-et-onze ans, la plus jeune était une écolière de treize ans. Le meurtrier n’a jamais laissé d’indices derrière lui. Plus de trois mille suspects ont été interrogés et plus de trois cent mille policiers mobilisés pour l’enquête, et finalement personne n’a jamais été inculpé pour ces crimes. Le film met en scène deux inspecteurs de police, l’un de la campagne (Park Doo-man), l’autre de la ville (Seo Tae-yoon), le premier intuitif et violent, le second plus méthodique, plus respectueux du droit des suspects jusqu’au moment où il craque.

On peut, à titre d’interprétation complémentaire, mettre en scène le point de vue du détective le plus déçu de n’avoir rien trouvé, Seo Tae-yoon. Son échec était patent, mais à titre d’aveu supplémentaire, il a quitté le métier, il a tenté de refaire sa vie ailleurs.

Souvent, ce film est interprété à partir du contexte de violence politique et policière de la Corée des années 1980. On n’a pas tort : sans ce contexte ce film-là n’aurait jamais été fait. Mais le crime, le crime lui-même, tel que les journaux en ont fait état, aurait-il pu être commis dans un autre contexte? Il est probable que oui, ce qui limite l’incidence du contexte.

(Seo Tae-yoon : La violence, elle était dans l’air, il fallait faire avec. Je pensais qu’on pourrait la limiter, la borner. Je supposais que la ruse et l’intelligence seraient plus fortes, mais rien de ce que j’ai tenté n’a marché).

La singularité de cette histoire, c’est l’absence de sanction. On voit les effets du crime impuni sur les policiers. Ce sont des durs-à-cuire qui en ont beaucoup vu, mais l’impunité est insupportable.

(Seo Tae-yoon : J’aurais tellement voulu conclure! Pas pour la gloire, pas même pour montrer ma perspicacité, simplement pour ne pas rester dans cet entre-deux bizarre où je reste collé. Sans cet échec, je ne m’adresserais pas à toi, je resterais pour toujours dans le film).

Ni la bêtise des policiers, ni leur inefficacité, ni leur brutalité, ne suffisent pour expliquer leur échec. Aucune explication ne sera jamais suffisante – sans quoi le film n’aurait aucune justification, aucune raison d’être. Toute l’histoire repose sur une punition restée en suspens, pendante au-dessus de nous, comme si les vagues d’une tempête s’étaient brusquement figées, menaçantes, ou comme si nous pouvions à chaque instant mettre le pied sur une mine invisible.

(Seo Tae-yoon : Tu ne manques pas d’imagination, mais je ne crois pas que tu puisses nous remplacer. La souffrance n’est pas pour toi, elle est pour moi, le personnage perpétuel du film, celui qui restera en échec jusqu’à la fin des temps.)

Je me rappelle à quel point, à la fin, tu étais déstabilisé. Tu devenais méchant, agressif, meurtrier toi-même. Tu as cru te tirer de là en changeant de métier, mais tu n’as réussi qu’à élargir les bornes dans lesquelles nous sommes, nous aussi, enfermés. On croit repartir de zéro, mais c’est un faux zéro, un zéro lesté qui pèse pour tous et partout. Même moi, à des milliers de kilomètres de la Corée, j’en ressens le poids. Le titre du film, Memories of Murder, ne nous lâche pas. 

(Seo Tae-yoon : Tant qu’il y a du souvenir, il est ineffaçable, mais je n’en dirais pas autant du passé).

J’imagine la jouissance du meurtrier, je l’imagine vivant encore aujourd’hui, je l’imagine lisant ces lignes. Il compte encore pour nous, et nous comptons encore pour lui. Nous le haïssons, nous le méprisons, mais nous savons qu’il nous tient sous son regard. 

(Seo Tae-yoon : Le meurtrier me voit, il me surveille et sait tout de moi, tandis que je ne sais rien de lui. Il est pire qu’un Dieu).

Le crime resta impuni, mais pas la faute des détectives incapables de l’élucider. Quelles que soient les circonstances, il faut que quelqu’un paye.

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Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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