I’m not there » (Todd Haynes, 2007)
Complaisamment j’exhibe toutes les facettes de mon image, afin de protéger mon secret
Le titre joue sur la personnalité de Bob Dylan, mais il renvoie aussi à la structure du film. Tout est fait pour que le chanteur, à travers les six acteurs qui l’incarnent, ne soit pas là. Tout dans l’organisation du film insiste sur cette absence : on ne peut jamais s’arrêter sur une image, chaque séquence bascule soudain sur une autre, imprévisible, avec d’autres personnages. On entend ses chansons, mais on le voit rarement (quelques instants à la fin du film, avec son harmonica). Si ses avatars et ses spectres sont complaisamment exposés, est-ce pour laisser entendre qu’au moment du tournage et presque dix ans avant qu’il ait obtenu le prix Nobel (qu’il a accepté, après une certaine période de diète médiatique), il était peut-être, quoiqu’on en dise, déjà mort ? Ou bien faut-il se méfier de cette insistance, et se dire que peut-être les six personnages ligués pour le présentifier, pour écrire sa légende de star ou d’idole, ne laissant aucune place à sa véritable singularité, à son secret ?
Le paradoxe du titre, c’est qu’il dit « je », un « je » qu’on a tendance à attribuer à Bob Dylan alors que celui-ci ne dit rien. On entend ses chansons enregistrées mais il reste silencieux. C’est cela son honneur, sa dignité : nul ne sait qui est Bob Dylan. On pourrait prendre 6000 acteurs au lieu de 6, on arriverait au même résultat. Comme le « Je suis mort » du Valdemar de Poe, la phrase « I’m not there » est soit triviale (premièrement je ne suis pas dans le film, et deuxièmement aujourd’hui, quand tu regardes ce film, je ne suis plus là), soit paradoxale (celui qui dit « je » est nécessairement là dans le temps où il dit « je »; sinon comment pourrait-il dire « je » ?). Derrière cette complexité surmultipliée, ce à quoi le nom « Bob Dylan » qui n’est jamais cité dans le film renvoie reste absolument inconnu.