Plaisir souverain

Il faut en passer par le plaisir, valeur positive, pour ressentir pleinement l’illusion de souveraineté

Au début de sa carrière, Freud nommait principe de plaisir la règle générale selon laquelle, croyait-il, les êtres vivants privilégient toujours le plaisir sur le déplaisir1. L’histoire de la psychanalyse (et aussi l’histoire politique, en passant par les deux guerres mondiales) montre à quel point il a dû moduler ce principe, jusqu’au moment où, selon son propre vocabulaire, l’au-delà du principe de plaisir a cédé place à la contrainte de répétition, avant d’explorer son en-deçà (sa dynamique, sa cause) sous le nom de principe d’entropie ou encore de pulsion de mort. Le plaisir a quelque chose de mécanique, de répétitif, de pulsionnel, qui le situe plus du côté de la mort que de la vie. Malgré ou peut-être à cause de ce côté ambigu, il se trouve que dans l’idéologie la plus courante, la plus contemporaine, la recherche du plaisir est devenue une valeur, un but, un objectif à atteindre, voire une obligation célébrée par les guides de développement personnel, les médias, les puissances économiques, la publicité, et aussi une large partie de la psychologie existentielle. Mais la difficulté c’est que, vaine ou pas, la poursuite du plaisir ne conduit pas nécessairement à la satisfaction, et encore moins au bonheur.

Le cinéma, dans sa complexité, reflète la diversité du rapport au plaisir. Exemples : dans American Gigolo (Paul Schrader, 1980), il est rédempteur, un passage obligé sur le chemin de l’innocence ou du salut, tandis que dans Le plaisir (et ses petits tracas) (Nicolas Boukhrief, 1997) ou 2046 (Wong Kar Wai, 2004), c’est plutôt le chemin de l’échec, de l’errance, voire du malheur. À partir du moment où on l’érige en valeur positive, socialement encouragée, il donne l’illusion d’un contrôle de soi, d’une souveraineté, qui peut être rapidement démentie car, comme tel, même réussi, il ne résout rien. Si solution il y a, elle vient d’ailleurs, et s’il n’y en a pas, c’est l’effondrement.

  1. Croyance largement partagée par certains courants hédoniste de la pensée grecque, jusqu’à Spinoza, postulée mais jamais démontrée, et pas vraiment universelle. ↩︎
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