Violence primordiale, de l’humain

Au cœur de ce qu’on nomme l’humain, une violence primordiale peut toujours surgir

On peut trouver des myriades d’explications qui justifient que la violence soit si souvent, si abondamment représentée au cinéma : anthropologiques, psychologiques, sociales, politiques, pulsionnelles, commerciales, etc. D’innombrables sociologues ou commentateurs ont évoqué des causes, des raisons, décrit des situations, des mécanismes qui conduisent à cela. Si l’on cherche des explications, on en trouve toujours, en si grand nombre que personne jamais n’en fera une recension complète. Pour tenter de tirer au clair cette sorte de violence universelle, je vais tenter une autre voie, une voie inverse, négative en quelque sorte, en m’intéressant aux cas où la violence semble faire irruption sans raison. Quand il n’y a pas d’explication simple, directe, nommable, quand la violence ne peut pas être justifiée par un événement, un intérêt, un conflit, quand elle semble véritablement gratuite, absolument irrationnelle, alors il se pourrait qu’on approche un peu plus de l’essentiel. Pour mettre à l’épreuve cette hypothèse, il n’y a pas d’autre méthode que d’aller de l’avant, film après film. J’ai choisi pour commencer un film des frères Coen : No Country for Old Men (2007). Un malfaiteur incarne à la perfection cette position : Anton Chigurh. Indifférent à la distinction courante du bien et du mal, il agit selon certaines règles qu’il est le seul à définir. Toute personne qui a la malchance de croiser sa route, quelles qu’en soient les raisons, est virtuellement condamnée à mort. Soit il l’exécute, soit il décide de la gracier pour des raisons dont il est seul juge : par exemple un jeu de pile ou face ou une absence de terreur (car il a l’habitude de voir tout le monde terrorisé devant lui). Il n’a pas de raison particulière d’agir ainsi, mais c’est comme ça, c’est son obligation, son devoir. Il est voué à une obéissance quasi biblique, inconditionnelle, au commandement qu’il s’est imposé à lui-même. Tous ceux qui sont confrontés à lui doivent l’affronter et renoncer à toute autre règle. C’est dur à supporter, choquant, mais il faut se rendre à la raison : ce type a une éthique, et il s’y tient. Il est prêt à prendre des risques, à sacrifier son intérêt pour respecter sa loi (qui est à la fois au-dessus de toutes les lois et en-dessous de la légalité même). On ne peut pas imaginer posture plus rigoureuse. Nul ne peut convaincre Anton Chigurh de changer d’avis. Sans jamais trembler ni hésiter, il est le roi, le souverain et, en sa présence, la seule source de légitimité. Telle est la vérité, l’authenticité de la violence primordiale : un droit absolu à faire, au moment où elle le décide, ce qu’elle veut.

Même s’ils mettent l’accent sur d’autres règles, on retrouve cette posture dans d’autres films. Mettons : La trilogie du X-factor (Ti West, 2022-24), Pulp Fiction (Quentin Tarantino, 1994), Mother (Daren Aronovsky, 2017).

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