Un dibbouk prétend, au nom de la justice, fixer l’avenir qui répare la faute dont il s’estime victime
Le problème du dibbouk, c’est qu’il a de la difficulté à traduire son exigence de justice en avenir nouveau, en fécondité imprévue. Il risque au contraire de s’enfermer lui-même dans une clôture, une répétition, une réitération de ses rêves empêchés, de ses espoirs déçus. À l’issue de sa revanche, il est rare qu’un dibbouk soit heureux, satisfait. Dans le film Le Dibbouk ((Michał Waszyński, 1937), Hanan entraîne Léa dans la mort. Ce n’est pas un choix libre, c’est plutôt la conséquence du serment de leur père respectif, qui les a privés d’avenir. Le dibbouk n’est pas ouvert à l’autre, il n’est pas généreux. Indifférent au sort d’autrui, il défend ses intérêts. Il en va de même dans le film des frères Coen, A Serious Man (2009). Plusieurs générations plus tard, Rabbi Groshkower s’en prend à une personne avec laquelle il a des affinités. Jouant sur l’incertitude, il précipite Larry Gopnik dans une série de catastrophes dont on ne peut pas savoir s’il se tirera ou non. Il n’y a aucune miséricorde dans le comportement du dibbouk. Qu’il ait été tué ou non par Dora, l’ancêtre supposée de Larry, c’est bien à elle qu’il doit sa survie spectrale, et c’est bien à lui qu’il doit sa (relative) victoire posthume. Après cela, le Rabbi n’a plus qu’à sombrer dans l’oubli. Le cas de Sarah dans Demon (Marcin Wrona, 2015) est un peu moins négatif. Ici le dibbouk est une femme, une occurrence plutôt rare. Certes Peter dit Python (ou Piotr) la rejoint dans la mort, une situation comparable à celle de Hanan et Léa et guère féconde pour un couple, mais son ex-fiancée Żaneta, abandonnée sans commisération, semble trouver dans l’aventure la force de quitter sa famille, de s’en aller ailleurs vivre une vie digne d’être vécue. Ce n’était pas l’objectif de la dibbouk, mais c’est un avantage collatéral appréciable. Pour ce personnage au moins, l’avenir n’est pas complètement plombé.