Le vrai est une valeur dont il est difficile – voire impossible – de se montrer digne
Il n’y a pas de pure vérité tombée du ciel. Pour fabriquer une vérité, il faut des règles, des dispositifs, des expériences, des contrôles, des critiques, des contre-exemples et encore beaucoup d’autres procédures et procédés. On y pense, on s’y oblige, on en rêve, mais tout dépend de la mise en œuvre de ces fabrications, sans parler des innombrables a priori et prejugés qui donnent lieu à toute la gamme des vérités, de la certitude absolue au doute intégral. Quand on y réfléchit, on se dit qu’il vaudrait mieux éviter ce mot qui ne renvoie qu’à une illusion, on se résoudrait à cet abandon si la vérité ne gardait pas cette force inouïe. Aussi sceptique soit-on, nous la désirons, nous sommes tentés par elle et nous ne pouvons pas nous passer de cette tentation.
S’il est un film qui dit la vérité sur le vrai, c’est The Third Murder(Hirokazu Kore-Eda, 2017). C’est une histoire de meurtrier dans laquelle la vérité ne cesse de fluctuer. Il n’existe ni preuve matérielle, ni témoin, et l’accusé, qui sera finalement condamné à mort, ne cesse de changer de version. De toutes façons sa vie est finie. Il cherche peut-être à protéger Sakie violée par l’homme qui a été assassiné (son père), à moins qu’il ait été motivé, directement ou indirectement, par une question d’argent, on ne le sera jamais. Dans Oh Canada (Paul Schrader, 2024), Leonard Fife annonce dès le départ qu’il veut dire la vérité. Il commence par réduire à néant quelques mensonges qu’il a proféré jusqu’alors, mais sa mémoire n’est pas si limpide. Il confond différents souvenirs ou personnages, se met en scène, voudrait peut-être régler des comptes avec sa femme, et d’ailleurs quelle est sa motivation ? Sa confession ultime restera incertaine jusqu’au bout, puisqu’il meurt. En ne clarifiant rien, ces films révèlent le paradoxe de la vérité : plus on a d’éléments, moins on la connait.