Monde inhabitable

Je ne peux plus habiter ce monde

Chacun d’entre nous a sa façon d’habiter le monde, et éventuellement de le déshabiter. Il faut un événement, rarement prévisible, pour qu’une telle chose arrive. Un monde jusque là familier, un chez soi, devient inhabitable. Dans Le syndrome asthénique (Kira Mouratova, 1990), c’est la mort du mari de Natasha qui déclenche le mouvement. Plus rien n’est supportable pour elle, ni les funérailles, ni l’hopital où elle travaillait, ni ses collègues, ni ses amis, ni son quartier, ni rien. Il faut qu’elle s’en aille, même sans avoir aucune idée de l’endroit où elle va. Parallèlement Nikolaï, instituteur, sans lien avec Natasha, ne peut pas s’empêcher de dormir. C’est sa façon à lui de s’éloigner d’un monde inhabitable. Ils ne sont pas dans la même situation, ils ne subissent pas les mêmes événements, mais c’est le même monde dans lequel ils ne peuvent plus vivre. Dans le cas de Thelma et Louise (Ridley Scott, 1991), un film presque exactement contemporain de celui de Kira Mouratova quoique situé à des milliers de kilomètres, la sortie du monde est déclenchée par une tentative de viol. Le viol est impardonnable, irréparable, il fait trou dans le monde, mais il fallait que le monde soit déjà fracturé, fissuré, pour que ces deux femmes se laissent entraîner dans une aventure où elles préfèrent laisser la vie. Il n’y a pas de lien politique entre les deux, pas de lien factuel, mais dans les deux cas le retrait du monde s’impose sans discussion, sans hésitation.

Dans la trilogie de Ti West, XPearlMaXXXine, deux femmes interprétées par la même actrice, Mia Goth, sont prises dans la même injonction : détruire, massacrer père et mère plutôt que de continuer à vivre comme eux. Leur ambition sociale (devenir actrice, star à Hollywood), compte moins que leur rejet absolu du monde parental, qui leur semble encore plus brutal que leurs propres actes. Il faut s’en aller, fuir à tout prix, sans rien laisser derrière.

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