Nous vivons pour rien, et nous mourons pour rien
Pourquoi devons-nous mourir ? La réponse la plus triviale est biologique : notre vie est ainsi faite qu’elle est limitée dans le temps. En conséquence nous savons que nous allons mourir, nous devons mourir. Cette expression laisse entendre que nous avons une dette : puisque la vie nous a été donnée, il faut la rendre. Qu’on la considère comme naturelle ou non, et quoi qu’en disent les transhumanistes, c’est une loi, et on n’a pas encore trouvé le moyen de lui désobéir. Mais dire qu’on ne peut pas désobéir ne veut pas dire qu’il n’y ait aucune résistance possible. Supposons qu’on accepte la mort en récusant la dette. D’accord, je meurs, mais ce n’est pas par obligation. Après tout, je n’ai pas demandé à naître et je ne demande pas non plus de mourir. J’estime que si la vie m’a été donnée inconditionnellement, sans contrepartie, alors la mort n’a pas à être obligatoire, conditionnée, elle est tout aussi illogique, absurde, purement circonstancielle, que la naissance. Ce n’est pas pour des raisons morales que je meurs, c’est parce que la mort arrive tout à coup, sans dette.
Cette idée se trouve derrière le film d’Oliver Saxe, Sirāt (2025). Tout commence par une rave-party en plein désert : un geste qui peut ressembler à un acte gratuit, un appel à la danse, une pure jouissance déclenchée par une musique mécanique, répétitive. Ce type de jouissance n’est pas sans ressembler à une petite mort, un pseudo-nirvâna, un anéantissement provisoire avant le retour à la maison. Mais voilà qu’un petit groupe se détache et continue sa route vers le sud, à travers les montagnes de l’Atlas. Ils croisent, d’une autre façon, la mort : irruption de militaires, passage sur une route impraticable, chute d’un enfant dans un précipice, et finalement explosion de quelques personnages dans un champ de mines. Il ne s’agit pas là de mort biologique, il s’agit de circonstances dans un voyage dont le but est une autre rave, une autre petite mort, à la poursuite d’une jeune femme dont on ignore si elle a pris le chemin. Ces décès n’ont aucune autre cause que l’arrêt de la vie. Ils ne remboursent aucune dette, ne répondent à aucune obligation, et auraient tout aussi bien pu ne pas advenir.