Non-appartenance au monde

Je n’appartiens plus à ce monde

Dans Le syndrome asthénique (Kira Mouratova, 1990), Natasha, médecin, vient de perdre son mari. Plus rien, dans ce monde, n’a de sens pour elle. Elle démissionne de son travail, refuse tout contact avec qui que ce soit. Nikolaï, instituteur, est incapable de rester réveillé. Il s’endort devant ses élèves, ses collègues, dans le métro, partout. Tous deux ne supportent plus ce monde. Ils y sont physiquement, mais ne veulent plus y appartenir.
Nikolaï : Croyez-moi, je ne fais pas exprès. C’est juste que dès que je les entends, dès qu’ils apparaissent devant mes yeux, je n’arrive pas à rester réveillé, j’ai une envie incontrôlable de m’endormir. C’est plus fort que moi, comme si j’avais pris un médicament puissant, un anesthésiant. Comment vous expliquer ? C’est à la fois physique et non physique, la simple idée de participer à leur monde, d’en devenir une partie, un élément, quand cette idée s’empare de mon cerveau je suis paralysé, je ne peux plus rien faire, le sommeil s’impose comme la seule solution de sortie, ou disons, la seule qui soit acceptable pour moi à ce moment-là. Aucune autre ne fonctionne, mon corps les refuse toutes, et mon esprit ne peut qu’acquiescer.
Natasha : Je te comprends infiniment Nikolaï, même si mes symptômes ne sont pas les mêmes. Je n’arrive pas à rester avec eux, j’ai besoin de partir, de m’enfuir, me sauver, courir, aller le plus loin possible. Il faut que je me débarrasse des gens, quelle que soit leur bonne volonté, quelles que soient leurs qualités, que je ne les voie plus jamais, qu’ils s’effacent, s’anéantissent. C’est complètement irrationnel, ça n’apporte rien et ça n’arrange rien, je le sais, mais je n’y peux rien, c’est comme ça.
— Le scripteur : Nikolaï et Natasha n’ont pas été écartés, pas été exclus, même pas été menacés. On ne leur a rien fait, rien dit, et pourtant leur appartenance à ce monde est brisée. C’est définitif, irréparable.

Vues : 0