Alliance, désendettement

Il faut, pour nouer une alliance, dénouer les dettes et les engagements qui en feraient fi

On peut donner au mot alliance une signification large ou plus étroite : 

  • dans le sens le plus large, c’est une relation dissymétrique entre un groupe et une instance extérieure qu’il ne peut ni dominer ni contrôler. Exemples : les alliances religieuses entre un Dieu et une collectivité, entre Dieu (supposé unique) et les humains ou telle catégorie d’humains, entre une divinité et les destinataires de sa bénédiction; ou les alliances séculières que l’expérience impose : entre les humains et le monde (ou ce qu’on nomme abusivement la nature), entre les vivants et les non-vivants, entre la fine pellicule qui entoure notre planète et le reste de l’univers.
  • dans un sens plus étroit, une autre relation, tout aussi dissymétrique, entre deux êtres qui se joignent malgré la différence de leurs buts (une plante et son parasite), deux personnes dont les perspectives diffèrent (relation amoureuse), deux instances qui pourraient sembler incompatibles (une personne et un État), des principes et des actes concrets (une éthique).

La question de la dette se pose dans les moments de passage, lorsqu’une alliance est sur le point d’advenir. Exclusive ou pas, elle est toujours exigeante. Il faut renoncer à tel ou tel engagement, se retirer d’un dispositif auquel on était accoutumé, se dissocier de pratiques qui semblaient légitimes. L’émergence d’une autre alliance rend obsolètes les anciennes normes, les anciennes dettes économiques ou non, les responsabilités et les culpabilités qui leur sont associées. C’est un sentiment de perte, d’effondrement, et en même temps d’exaltation, d’intense émotion. On peut oublier ce qui fut interdit, omettre ce qui semblait indispensable, laisser venir ce qui paraissait inconvenant. Dans la vie courante, ces phénomènes sont difficilement repérables, encore moins descriptibles, mais dans certaines films, en accéléré, ils apparaissent avec plus de netteté, sur un mode abstrait ou épuré.

On trouve déjà dans le titre du film L’important c’est d’aimer(Andrezj Zulawski, 1975) une hiérarchisation, une relativisation. S’il faut déclarer que L’important c’est d’aimer, c’est qu’il y a d’autres choses dans la vie qui paraissaient extraordinairement importantes, et qui soudain ne comptent plus. Nadine Chevalier et Servais Mont étaient pris tous deux dans un réseau complexe d’engagements et d’obligations dont il semblait impossible de se débarrasser. En entrant, chacun, avec l’autre, dans une relation qui peut-être était amoureuse (si ce mot convient), ils ont créé les conditions pour que le reste de leur vie, leur dépendance à l’égard de circuits mafieux ou d’un mariage ubuesque, soient anéantis, fût-ce dans la douleur ou l’affliction. Le désengagement ne précède pas l’amour, il en est l’effet imprévu, involontaire. On retrouve un effondrement du même type dans La Fièvre du Samedi Soir (John Badham, 1977), Bird People(Pascale Ferran, 2014) ou Leave No Trace (Debra Granik, 2018). C’est la fin des concours de danse, des ménages anonymes, des voyages à l’étranger ou de la fuite en plein bois. L’émergence d’un autre rapport au monde ou à l’autre est involontairement destructrice, déconstructrice.

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