En liberté (Pierre Salvadori, 2018)

L’innocence exige une réparation aussi grandiose ou monstrueuse que la faute – et aussi le retour à l’ordre et à la loi

Comédie policière à la française, dans le prolongement d’une très ancienne tradition, de Francis Blanche à Louis de Funès. D’un côté le pitch a quelque chose de classique. On aurait pu le tourner en pur thriller : parallèle entre un innocent (Antoine) qui a fait 8 ans de prison pour un casse qu’il n’a pas commis, et une innocente (Yvonne) qui a été mariée 8 ans à un ripoux sans savoir qu’il était ripoux (mais en profitant quand même d’un niveau de vie légèrement exagéré pour un salaire de flic). Là où ça devient bizarre (le début du comique), c’est quand le premier doit réaliser le casse pour justifier sa peine injuste, et la seconde porter secours au premier pour compenser les méfaits du mari. Pour justifier cet étrange système de rééquilibrage, il faut faire rire et multiplier les gags. Pour le réalisateur, réussir le comique est un devoir, mais cela n’empêche pas la symétrie : sans l’incompétence des flics, l’audace naïve d’Antoine n’aurait aucun sens. A la fin Antoine détruit le butin du casse pour redevenir innocent, et Yvonne fait quelques mois de prison avant de se (re)marier avec un autre policier pour redevenir innocente. Bien qu’Antoine et Yvonne qui, à nos yeux, auraient pu devenir le « couple parfait », se séparent, le film se termine « bien », c’est-à-dire qu’il prolonge le travail de compensation qui permet au fils d’Yvonne de se réconcilier avec son policier de père (l’ancien remplacé par le nouveau), et à Antoine de reprendre sa vie de couple avec son ancienne petite amie (le nouvel Antoine rejoignant l’ancien). Il ne suffit pas que le film soit juste, il ne suffit pas qu’il soit drôle, il faut encore qu’il soit pédagogique.

Bizarrement, alors que le film repose sur un équilibre quasiment parfait de la dette et de la réparation, l’idéal cinématographique de Pierre Salvadori est la gratuité, comme en témoigne le récit de sa vie relaté par un journaliste : « Jusqu’au jour où, dans l’atelier d’une amie artiste où il ressasse encore et encore son angoisse et la perte de tout désir, celle-ci s’agace : « L’insouciance c’est comme un pucelage, ça ne se retrouve pas. Maintenant : ou bien tu construis ou bien tu meurs ». « Cette phrase a été comme une claque, raconte-t-il. Je suis resté comme un vieux moine à me dire : « OK Pierrot, maintenant qu’est-ce que tu fais?  » Et puis un mot m’est venu : la gratuité. Comme une illumination. Ce mot a donné un sens à mon existence. Le concept m’a recatapulté vers la joie de vivre. Je ne suis pas mystique, mais je peux comprendre qu’on sorte de la dépression par là. » Et plus loin : « Choisir la grâce sans bénéfice, c’est ce qui nous rapproche du miracle d’être là, qui donne à notre existence quelque chose de sacré, j’allais dire qui fait de nous des dieux, mais ça fait un peu trop exalté, peut-être? » (Le Monde du 25 septembre 2018).

L’une des leçons à tirer de ce film, qui n’est pas seulement une comédie, c’est l’écart entre ce que le réalisateur a pensé faire et ce qu’il a fait. Le sacrifice d’Yvonne n’est pas gratuit, c’est un rachat très chrétien, et la monstruosité d’Antoine, sa violence apparemment gratuite, est le chemin de sa résurrection. Ils doivent, pour accéder au salut, en passer par là. S’ils n’étaient pas fautifs, quel sens aurait le rachat ? Et s’ils ne payaient pas pour leurs fautes, quel droit auraient-ils à reprendre une vie normale ? Il n’y a dans le film qu’un seul couple véritable, uni par la sensualité et par une complicité de tous les instants, c’est celui d’Antoine et d’Yvonne. Mais il ne faut pas que le film se termine par leur union. Tout ce passe comme si le divorce était interdit, comme si la seule chose absolument exclue était la destruction du couple légitime. Antoine doit se retrouver avec Agnès, et Yvonne avec le substitut de son défunt mari, père adoptif de son fils. Ils ont le droit d’être aimés, mais pas celui d’être amoureux. 

Par ses transgressions soigneusement calculées, la comédie tend à restaurer la morale. Si, quel que soit l’humour ou le talent des auteurs, elle demande autant de travail, ce n’est pas seulement à cause de la fragilité du rire. Il y a toujours un risque d’échec – excès ou insuffisance dans son fragile équilibre.

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Pierre Delain

Initiateur et auteur du blog "Cinéma en déconstruction"

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