Éthique du voyou

Éthique du voyou : « Étant au-dessus des lois, je peux souverainement décider de ma loi »

La figure du voyou est fréquente dans les films. Il peut s’agir d’un individu, d’une personne, ou encore, par exemple, d’une institution (un Etat-voyou) ou d’une chose (l’argent-roi, l’argent-voyou). La voyouterie s’infiltre partout, elle parasite les mondes, elle s’affirme en proclamant sa loi qui se présente comme transgression mais n’en est pas une car, sauf exception, le plus souvent, comme telle, elle conforte et confirme les pouvoirs. C’est l’un des nombreux paradoxes du voyou : voulant faire exception, il finit par se rallier à ceux qu’il avait le plus vigoureusement combattus. Le bandit se rêve en propriétaire terrien, le provocateur court après la célébrité, le pervers agit comme un prince ou un roi, le pédophile s’intègre dans la bonne société, l’ignorant excelle dans sa spécialité. Ce n’est pas qu’un comportement, c’est un système, une éthique. L’Opéra de Quat’Sous de Bertolt Brecht (1928) montre avec une quasi perfection ce qu’il en est de l’éthique du voyou. Mackie, le bandit, est un vieux copain et compagnon d’armes de Jackie, le préfet. Persuadé que sa posture au-dessus des lois ne sera jamais contestée, il peut corrompre, voler, détourner, choisir à sa guise une épouse, lui imposer un mariage aussi illégal (car il est déjà marié) que béni par le pasteur. Il est une exception – car il n’y a qu’un seul Mackie – et aussi un exemple, la preuve vivante que sa loi est tout aussi légitime que la loi officielle. Il n’est pas surprenant que les producteurs du film de Georg Wilhelm Pabst sorti en 1931, se soient comportés eux-mêmes en voyous vis-à-vis de Brecht, lequel s’est érigé en protestataire anti-loi et anti-cinéma après avoir perdu son procès. L’une des particularités de l’éthique du voyou, c’est qu’elle se propage de proche en proche sans douter d’elle-même, avec une certitude confondante. Comme dans Aguirre, la colère de Dieu (Werner Herzog, 1972), le voyou se conduit comme un souverain absolu qui n’a pas à justifier sa légitimité puisqu’il est, déjà, le souverain. Bien que sa morale soit totalement dépourvue de morale, son éthique totalement dépourvue d’éthique, il est persuadé qu’aucun autre système de valeurs ne peut se substituer au sien.

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