Il faut rompre avec le cycle élémentaire de la vie courante pour tenter de vivre, au-delà, encore plus que la vie
Nombreux sont les films où un personnage quitte sa famille, s’en va, se retire du contexte social où il a vécu dans son enfance pour expérimenter autre chose, une autre vie, ailleurs. C’est l’évolution normale d’un jeune, c’est le destin usuel de toutes les familles dignes de ce nom, c’est une des dimensions, un des aspects les plus courants de la vie. Quand je parle d’une vie au-delà, encore plus que la vie, je ne parle évidemment ni d’un départ usuel de ce genre, ni d’un au-delà religieux, d’une transcendance ou d’une survie après la mort, j’évoque autre chose, un départ plus exceptionnel, plus aventureux, plus dangereux, celui qui vise à l’émergence d’un autre monde, ici-bas. Il arrive que tout d’un coup, sans qu’on comprenne pourquoi, ce qui a paru normal pendant des dizaines d’années devienne insupportable, inacceptable. Dans le film de Bas Devos, Ghost Tropic, une femme ne peut même plus rentrer chez elle après avoir passé une nuit dehors. Quelque chose s’est passé qui fait que son monde n’est plus le même. Elle n’a pas vraiment choisi de partir, ce sont ses anciennes références qui se sont effacées. À sa vie régulière d’avant doit absolument s’ajouter autre chose, c’est comme ça, on n’y peut rien. Cela peut sembler choquant, mais c’est beaucoup moins violent que, par exemple, le changement quotidien d’identité décrit dans Ayer Maravilla fui (Gabriel Mariño, 2017), où la personne est privée, sans qu’elle le veuille, de sa personnalité d’hier. Mais le film d’horreur est le lieu où l’on peut se permettre la plus grande violence. La trilogie de Ti West, X – Pearl – MaXXXine, nous présente deux femmes interprétées par la même actrice, Mia Goth, dont l’une (Maxine) est la transmutation de l’autre (Pearl). Leur point commun, c’est qu’elles doivent absolument fuir la vie familiale par la destruction, le meurtre. Il ne leur suffit pas de s’en aller avec leur bagage sur la route, il faut qu’elles mettent fin à leur ancien monde, par le matricide / parricide dans le cas de Pearl, la pornographie et une ambition démesurée dans le cas de Maxine (qui n’hésite pas, elle aussi, à massacrer son propre père pour soigner sa réputation), afin de réduire le passé à néant. Ce n’est pas la vie qui compte, pas même une nouvelle vie, c’est la surenchère qui ajoute d’autres univers possibles à celui-là, même au prix de l’auto-destruction. Plus que la vie, toujours plus que la vie, c’est prendre le risque de la monstruosité qui nait de l’inconnu, de l’imprévisible.